Translate

samedi 21 avril 2018

Justice : le pari d'une réforme tout-en-un...


21 avril 2018

Justice : le pari d'une réforme tout-en-un

Le projet de loi de programmation que le conseil des ministres devait examiner vendredi suscite la critique

agrandir la taille du texte
diminuer la taille du texte
imprimer cet article
C'était une annonce du premier ministre, Edouard Philippe, dans son discours de politique générale, le 4  juillet 2017. Garantir dans la durée l'effort budgétaire de la nation pour la justice en manque chronique de moyens à l'aide d'une loi de programmation et l'accompagner d'une profonde modernisation. Sur le papier, l'engagement est respecté avec le vaste projet de réforme que la garde des sceaux, Nicole Belloubet, devait présenter en conseil des ministres vendredi matin 20  avril.
Mais l'ambition affichée par le gouvernement se heurte à de vives oppositions tant de la part des magistrats, que des greffiers et des avocats. Ils y voient une régression de l'accès à la justice, une logique gestionnaire, un risque de privatisation et une atteinte aux libertés en matière de --pro-cédure pénale. Marie-Aimée -Peyron, bâtonnière de Paris, dénonce même un texte " tout droit sorti de la place Beauvau ".
Sur la méthode, le gouvernement se trouve pris à son propre piège d'avoir fait le pari d'une -réforme tout-en-un. Plutôt que d'égrener sur le quinquennat une loi de programmation budgétaire et de modernisation des outils, une réforme de la procédure -pénale, une autre de la procédure civile, une loi sur le sens de la peine, une réorganisation de la carte judiciaire et une loi pénitentiaire qui chacune aurait justifié un grand débat pour une grande réforme, il a décidé de tout faire entrer dans un seul projet. Un choix pertinent alors que tout est lié dans la machine judiciaire. Bouger les briques les unes après les autres risquait de faire perdre en cohérence.
" Rétablir la confiance "Cette méthode prend néanmoins le risque de multiplier les opposants, en agrégeant des personnes pourtant favorables à certains pans du projet et aux intérêts parfois divergents comme les magistrats et les avocats. C'est aussi le cas de l'Union syndicale des magistrats (majoritaire) et du Syndicat de la magistrature (gauche), qui ont mis de côté leurs nombreux désaccords pour se mobiliser d'une seule voix contre le projet gouvernemental. Leur dernière action commune remontait à 2011, quand Nicolas Sarkozy était à l'Elysée.
Un autre écueil est caché par la richesse du texte. Si l'ambition globale est incontestable, la transformation promise pourrait, au final, s'avérer plus modeste sur certains des thèmes de la réforme.
" L'état de nos juridictions et de nos prisons ne répond pas aux attentes des citoyens ", constate la ministre de la justice dans l'exposé des motifs du projet de loi de programmation. Aussi fixe-t-elle comme objectif à la réforme de " rendre plus effectives les décisions des magistrats, donner plus de sens à leurs missions et rétablir la confiance des citoyens dans notre justice ".
Sur le plan des moyens, une hausse de 24 % du budget de la justice en cinq ans à  8,3  milliards d'euros est inscrite et 6 500 emplois à temps plein seront créés. Certes plus de la moitié de l'effort budgétaire ira aux prisons. Mais sur la période, 500  millions d'euros seront investis dans la numérisation (logiciel et matériel) de la justice. Un investissement sans précédent dont personne ne contestera l'urgence.
L'un des symboles de cette numérisation est la création d'une procédure entièrement dématérialisée permettant, avec l'accord des parties, des jugements sans audience pour le règlement des petits litiges civils, par exemple sur des paiements dont le montant maximal sera précisé par décret. De même, les requêtes en injonction de payer seront traitées de façon dématérialisée par un seul tribunal pour l'ensemble du pays.
Le recours à la justice n'étant pas toujours la meilleure solution pour résoudre rapidement un litige jusqu'à 10 000  euros, il sera obligatoire, avant de saisir un tribunal, de tenter une conciliation avec un conciliateur de justice, un médiateur ou une -procédure participative entre avocats. Et pour faire une fleur aux avocats, les cas où le recours à leur conseil par le justiciable est obligatoire seront étendus.
Ces mesures vont alléger le -travail des juges. Mais cela va sans doute renchérir le coût des procédures pour les particuliers qui ne bénéficient pas de l'aide juridictionnelle, comme le note l'avis du Conseil d'Etat révélé par le site Dalloz Actualité, et pourrait décourager certaines saisines de la justice.
Désengorger la justiceNicole Belloubet cherche à automatiser au maximum le traitement des petits litiges de masse où la " valeur ajoutée " de l'intervention d'un magistrat est inexistante. Dans la même logique est instaurée une amende délictuelle forfaitaire pour l'usage de stupéfiants (300  euros) ou la vente -d'alcool à des mineurs. En réalité, ces affaires ne viennent déjà qu'exceptionnellement à la barre d'un tribunal.
Difficile de lister toutes les mesures de ce véritable fourre-tout législatif. Il traite aussi bien de la suppression de l'audience de conciliation préalable devant le juge avant une procédure de divorce que de l'expérimentation d'un -tribunal criminel composé exclusivement de juges devant lequel les crimes passibles d'une peine de quinze ou vingt ans de prison (viols, coups mortels, vols à main armée) seront jugés à la place des cours d'assises et leur jury populaire. Désengorger la justice est le maître mot.
Le volet qui préoccupe le plus magistrats et avocats concerne l'organisation territoriale de la justice. La fusion des tribunaux d'instance avec ceux de grande instance (TGI) d'une part, et la souplesse d'organisation sur les contentieux entre les différents TGI d'un même département, ou cours d'appel d'une même région administrative, fait craindre une dévitalisation progressive des -petites juridictions. Le gouvernement répète inlassablement qu'il n'en est pas question et qu'" aucun lieu de justice ne fermera ".
Le pari le plus osé du gouvernement réside sans doute dans le projet de refonte des sanctions pénales avec l'instauration de peines autonomes de travail d'intérêt général, de stage (sur les addictions, les violences conjugales, la délinquance routière, etc.) ou de bracelet électronique. L'objectif est de voir les tribunaux prononcer moins souvent des peines de prison, mais que celles-ci soient plus vite et mieux exécutées. Une véritable gageure alors que le nombre de détenus a atteint un nouveau record historique – avec 70 367  personnes, dont 30 % sont des prévenus, au 1er  avril.
Revendiqué par le président, Emmanuel Macron, lors d'un important discours prononcé le 6  mars à Agen, ce volet de la réforme est peut-être aussi le seul qui procède d'une philosophie de la justice et non d'une adaptation aux contraintes du moment.
Jean-Baptiste Jacquin
© Le Monde




21 avril 2018

Un gigantesque projet de loi pour simplifier les procédures

Hausse du budget de la justice, enregistrement des plaintes en ligne, généralisation des écoutes à tous les délits… le texte balaye large

agrandir la taille du texte
diminuer la taille du texte
imprimer cet article
Le projet de loi que devait présenter Nicole Belloubet vendredi 20  avril a été élaboré à l'issue des cinq chantiers de la justice ouverts le 5  octobre. La principale surprise est l'abandon du projet de parquet national antiterroriste. Alors que le -Conseil d'Etat y a vu un " risque d'isolement des magistrats " doublé d'une" rigidité inutile pour adapter les effectifs " au gré de l'évolution du terrorisme, " une réflexion complémentaire " est nécessaire, dit-on à la chancellerie. En attendant, le procureur de Paris -conserve cette compétence nationale. Voici l'essentiel des mesures qui figurent dans ce texte de 57 articles et quelque 80 pages.
Les mesures budgétaires Le budget de la justice devra croître de 24  % entre 2017 et 2022, à 8,3  milliards d'euros. Les emplois vacants seront comblés, 6 500 créations nettes de postes sont programmées. 7 000 places de prison seront construites ainsi que 20 centres éducatifs fermés pour les mineurs.
La simplification de la procédure civile Un acte de saisine unique, contre cinq actuellement, est créé. Les modes alternatifs de règlement des différends (conciliation de justice, médiation et procédure participative) sont encouragés au point de devenir un passage obligé avant de pouvoir saisir un juge. Les plates-formes de médiation en ligne sont encouragées et feront l'objet d'une certification. Le recours à un avocat deviendra obligatoire par exemple en matière d'expropriation ou sur les litiges douaniers.
Pour les divorces contentieux, l'audience préalable de conciliation devant le juge des affaires familiales est supprimée pour raccourcir les délais (vingt-sept mois). Les procédures de contrôle par le juge des tutelles des actes de gestion concernant des majeurs sont allégées. Le consentement à une procréation médicalement assistée avec donneur sera recueilli par le notaire et non le juge, tout comme le changement de régime matrimonial.
Les procédures d'injonction à payer seront dématérialisées et centralisées auprès d'un seul tribunal. Une procédure sans audience pourra se dérouler avec l'accord des parties devant le tribunal pour les petits litiges. A titre expérimental, la révision des pensions alimentaires pourra être confiée aux directeurs des caisses d'allocation familiales afin d'éviter les mois de délais avec le juge.
La simplification de la procédure pénaleLes victimes pourront porter plainte en ligne. Les officiers de police judiciaire n'auront plus besoin de renouveler leur habilitation en changeant de département. La garde à vue de vingt-quatre  heures pourra être renouvelée une fois sans présentation de la personne au procureur. Les -techniques spéciales d'enquêtes, comme la sonorisation et la captation de données informatiques, autorisées en matière de terrorisme et de criminalité organisée, pourront l'être pour tous les crimes. Le procureur pourra demander au juge des libertés son feu vert pour des écoutes téléphoniques pour tous les délits passibles d'une peine de trois ans ou plus. Elles sont aujourd'hui circonscrites à la délinquance organisée. La visioconférence pour une audience de renouvellement de détention provisoire ne pourra plus être -refusée.
La composition pénale, qui permet au parquet de proposer une sanction en échange de l'extinction des poursuites pourra être étendue à tous les délits. Une interdiction de séjour dans certains lieux pourra être prononcée pour six mois au plus. Des amendes forfaitaires sont créées pour l'usage de stupéfiants et la vente d'alcool à des mineurs. Un tribunal criminel composé de cinq juges sera expérimenté pour juger à la place de la cour d'assises les crimes punis de quinze ou vingt ans de prison.
L'efficacité et le sens de la peine Une nouvelle échelle des peines est instaurée de l'amende à la prison en passant par le stage obligatoire, le travail d'intérêt général ou la détention à domicile sous bracelet électronique. Les peines de prison de moins d'un mois sont bannies. D'un à six mois, les peines s'effectueront en milieu ouvert ou sous bracelet électronique. De six mois à un an, elles pourront être aménagées par le juge d'application des peines, mais plus au-delà (elles sont aujourd'hui aménageables jusqu'à deux ans). La contrainte pénale disparaît tandis que le sursis avec mise à l'épreuve est renforcé en sursis probatoire avec un suivi socio-éducatif individualisé. La libération sous contrainte deviendra la règle sauf décision contraire du juge, permettant à la personne condamnée d'effectuer le dernier tiers de sa peine en dehors de la prison.
L'organisation judiciaire Les 307 tribunaux d'instance sont fusionnés avec les tribunaux de grande instance (TGI). Mais le contentieux de proximité restera traité dans ces lieux de justice dans les villes sans TGI. Entre les TGI d'un même département, le contentieux pourra être réparti pour faciliter la création de chambres spécialisées. Une expérimentation sera lancée dans deux régions comprenant plusieurs cours d'appel, permettant le regroupement des certains contentieux civils sur une même cour.
J.-B.J.
© Le Monde
21 avril 2018

La réforme contestée de la justice

agrandir la taille du texte
diminuer la taille du texte
imprimer cet article
Des tribunaux modernisés et équipés d'outils et de procédures informatiques qui les déchargent des tâches administratives, des juges et des greffiers recrutés en nombre, des justiciables mieux et plus rapidement traités, des dispositifs de médiation qui allègent le travail des magistrats pour les litiges mineurs, des prisons moins vétustes et surpeuplées, enfin, des moyens budgétaires renforcés : quel ministre de la justice n'en a rêvé, quel garde des sceaux ne s'y est employé, quel président ne s'y est engagé ?
Il est vrai que le constat est largement partagé. Par comparaison avec ses homologues européens, le système judiciaire français est mal loti. La France y consacre en moyenne 64  euros par an et par habitant, contre le double en Allemagne, 96  euros en Autriche, 85  euros en Belgique… Non que de sérieux efforts n'aient été réalisés : depuis dix ans, le budget de la justice a augmenté de près de 38  %, et plus de 11 000 emplois ont été créés.
Mais ces moyens supplémentaires n'ont permis d'améliorer ni le travail des personnels ni le service public rendu aux justiciables. Ils ont été absorbés par la hausse continue du nombre d'affaires, civiles en particulier, et par un foisonnement incessant de réformes législatives modifiant les règles de droit. Le résultat est connu : des tribunaux engorgés, des délais en constante augmentation et une justice moins accessible. Sans parler du système pénitentiaire, qui absorbe près de la moitié du budget de la Place Vendôme, mais dont maints rapports ont dénoncé la situation calamiteuse, alors que le nombre de détenus atteint un pic historique depuis la Libération : 70 367 personnes.
C'est à ces maux que le projet de loi, présenté le 20  avril par la ministre de la justice en conseil des ministres, entend s'attaquer. L'ambition de Nicole Belloubet est indéniable. Conformément aux engagements du président de la République, une hausse de 24  % du budget de la justice est programmée sur la durée du quinquennat (ce qui ne s'était plus produit depuis 2002), accompagnée de la création de 6 500 emplois supplémentaires. Un effort significatif portera sur la numérisation de bon nombre de procédures.
Loin de s'en tenir à ces aspects budgétaires et techniques, la réforme présentée par la garde des sceaux se veut globale et cohérente. Procédures pénales ou civiles revisitées, réflexion sur le sens, la hiérarchie et la nature des peines, procédures de conciliation pour les litiges jusqu'à 10 000  euros, réorganisation de la carte judiciaire, expérimentation d'un tribunal criminel pour les crimes les moins graves en lieu et place des cours d'assises et de leur jury populaire : autant de mesures destinées à alléger le travail des magistrats, à désengorger les tribunaux et à rendre la justice à la fois plus accessible et plus efficace pour le citoyen.
Louable intention, à l'évidence. Mais à vouloir, d'un même mouvement, ouvrir tous ces chantiers à la fois, la ministre – et, au-delà d'elle, le gouvernement – a pris le risque de bousculer et de mécontenter chacun des acteurs du système judiciaire. Les craintes des magistrats rejoignent celles des avocats, les revendications des différents syndicats se cumulent, et le projet a provoqué une fronde tous azimuts : les professionnels redoutent que la logique gestionnaire ait pris le pas sur le droit et que la réforme des tribunaux d'instance éloigne les Français de leur juge naturel. Au Parlement comme dans les tribunaux, c'est une rude bataille qui attend la ministre.
© Le Monde

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire