C'était une annonce du premier ministre, Edouard Philippe, dans son discours de politique générale, le 4 juillet 2017. Garantir dans la durée l'effort budgétaire de la nation pour la justice en manque chronique de moyens à l'aide d'une loi de programmation et l'accompagner d'une profonde modernisation. Sur le papier, l'engagement est respecté avec le vaste projet de réforme que la garde des sceaux, Nicole Belloubet, devait présenter en conseil des ministres vendredi matin 20 avril.
Mais l'ambition affichée par le gouvernement se heurte à de vives oppositions tant de la part des magistrats, que des greffiers et des avocats. Ils y voient une régression de l'accès à la justice, une logique gestionnaire, un risque de privatisation et une atteinte aux libertés en matière de --pro-cédure pénale. Marie-Aimée -Peyron, bâtonnière de Paris, dénonce même un texte
" tout droit sorti de la place Beauvau ".
Sur la méthode, le gouvernement se trouve pris à son propre piège d'avoir fait le pari d'une -réforme tout-en-un. Plutôt que d'égrener sur le quinquennat une loi de programmation budgétaire et de modernisation des outils, une réforme de la procédure -pénale, une autre de la procédure civile, une loi sur le sens de la peine, une réorganisation de la carte judiciaire et une loi pénitentiaire qui chacune aurait justifié un grand débat pour une grande réforme, il a décidé de tout faire entrer dans un seul projet. Un choix pertinent alors que tout est lié dans la machine judiciaire. Bouger les briques les unes après les autres risquait de faire perdre en cohérence.
" Rétablir la confiance "Cette méthode prend néanmoins le risque de multiplier les opposants, en agrégeant des personnes pourtant favorables à certains pans du projet et aux intérêts parfois divergents comme les magistrats et les avocats. C'est aussi le cas de l'Union syndicale des magistrats (majoritaire) et du Syndicat de la magistrature (gauche), qui ont mis de côté leurs nombreux désaccords pour se mobiliser d'une seule voix contre le projet gouvernemental. Leur dernière action commune remontait à 2011, quand Nicolas Sarkozy était à l'Elysée.
Un autre écueil est caché par la richesse du texte. Si l'ambition globale est incontestable, la transformation promise pourrait, au final, s'avérer plus modeste sur certains des thèmes de la réforme.
" L'état de nos juridictions et de nos prisons ne répond pas aux attentes des citoyens ", constate la ministre de la justice dans l'exposé des motifs du projet de loi de programmation. Aussi fixe-t-elle comme objectif à la réforme de
" rendre plus effectives les décisions des magistrats, donner plus de sens à leurs missions et rétablir la confiance des citoyens dans notre justice ".
Sur le plan des moyens, une hausse de 24 % du budget de la justice en cinq ans à 8,3 milliards d'euros est inscrite et 6 500 emplois à temps plein seront créés. Certes plus de la moitié de l'effort budgétaire ira aux prisons. Mais sur la période, 500 millions d'euros seront investis dans la numérisation (logiciel et matériel) de la justice. Un investissement sans précédent dont personne ne contestera l'urgence.
L'un des symboles de cette numérisation est la création d'une procédure entièrement dématérialisée permettant, avec l'accord des parties, des jugements sans audience pour le règlement des petits litiges civils, par exemple sur des paiements dont le montant maximal sera précisé par décret. De même, les requêtes en injonction de payer seront traitées de façon dématérialisée par un seul tribunal pour l'ensemble du pays.
Le recours à la justice n'étant pas toujours la meilleure solution pour résoudre rapidement un litige jusqu'à 10 000 euros, il sera obligatoire, avant de saisir un tribunal, de tenter une conciliation avec un conciliateur de justice, un médiateur ou une -procédure participative entre avocats. Et pour faire une fleur aux avocats, les cas où le recours à leur conseil par le justiciable est obligatoire seront étendus.
Ces mesures vont alléger le -travail des juges. Mais cela va sans doute renchérir le coût des procédures pour les particuliers qui ne bénéficient pas de l'aide juridictionnelle, comme le note l'avis du Conseil d'Etat révélé par le site Dalloz Actualité, et pourrait décourager certaines saisines de la justice.
Désengorger la justiceNicole Belloubet cherche à automatiser au maximum le traitement des petits litiges de masse où la " valeur ajoutée " de l'intervention d'un magistrat est inexistante. Dans la même logique est instaurée une amende délictuelle forfaitaire pour l'usage de stupéfiants (300 euros) ou la vente -d'alcool à des mineurs. En réalité, ces affaires ne viennent déjà qu'exceptionnellement à la barre d'un tribunal.
Difficile de lister toutes les mesures de ce véritable fourre-tout législatif. Il traite aussi bien de la suppression de l'audience de conciliation préalable devant le juge avant une procédure de divorce que de l'expérimentation d'un -tribunal criminel composé exclusivement de juges devant lequel les crimes passibles d'une peine de quinze ou vingt ans de prison (viols, coups mortels, vols à main armée) seront jugés à la place des cours d'assises et leur jury populaire. Désengorger la justice est le maître mot.
Le volet qui préoccupe le plus magistrats et avocats concerne l'organisation territoriale de la justice. La fusion des tribunaux d'instance avec ceux de grande instance (TGI) d'une part, et la souplesse d'organisation sur les contentieux entre les différents TGI d'un même département, ou cours d'appel d'une même région administrative, fait craindre une dévitalisation progressive des -petites juridictions. Le gouvernement répète inlassablement qu'il n'en est pas question et qu'
" aucun lieu de justice ne fermera ".
Le pari le plus osé du gouvernement réside sans doute dans le projet de refonte des sanctions pénales avec l'instauration de peines autonomes de travail d'intérêt général, de stage (sur les addictions, les violences conjugales, la délinquance routière, etc.) ou de bracelet électronique. L'objectif est de voir les tribunaux prononcer moins souvent des peines de prison, mais que celles-ci soient plus vite et mieux exécutées. Une véritable gageure alors que le nombre de détenus a atteint un nouveau record historique – avec 70 367 personnes, dont 30 % sont des prévenus, au 1er avril.
Revendiqué par le président, Emmanuel Macron, lors d'un important discours prononcé le 6 mars à Agen, ce volet de la réforme est peut-être aussi le seul qui procède d'une philosophie de la justice et non d'une adaptation aux contraintes du moment.
Jean-Baptiste Jacquin
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