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dimanche 22 avril 2018

Jean-Claude Mailly tire sa révérence dans un climat tendu


22 avril 2018

Jean-Claude Mailly tire sa révérence dans un climat tendu

Le patron de Force ouvrière depuis 2004 laisse sa place à son numéro deux, qui est sur une ligne plus contestataire face à Emmanuel Macron

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Si Jean-Claude Mailly espérait emprunter un chemin de roses pour son départ de la direction de Force ouvrière, il risque d'être déçu. A la tête de la centrale depuis 2004, où il a côtoyé quatre présidents de la République (Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy, François Hollande et Emmanuel Macron), M.  Mailly, 65 ans, va lâcher les rênes à l'issue du 24e congrès qui se tient du 23 au 27  avril, pour la seconde fois à Lille. L'actuel numéro deux, Pascal Pavageau, prendra sa succession. Ingénieur des travaux publics de l'Etat, cet homme de 49 ans n'était pas son dauphin naturel mais s'est imposé comme unique candidat à sa succession.
Il devrait se démarquer assez vite de son prédécesseur en revenant à une ligne plus contestataire. En adoptant un ton conciliant lors de la concertation sur les ordonnances réformant le code du travail, M. Mailly a opéré un recentrage stratégique qui a mécontenté une bonne partie de l'appareil. Il assume ce choix et ne regrette rien, tout en s'attendant à un " congrès très rock and roll ".
En février 2004, lorsqu'il succède à Marc Blondel, qui comme secrétaire général a pratiqué pendant quinze ans (1989-2004), un " syndicalisme de contestation ", M.  Mailly, qui se réclame du " réformisme militant ", inscrit ses pas dans ceux de celui dont il fût le principal collaborateur et le dauphin. En perte d'influence dans les élections professionnelles, FO joue alors sa survie. " Il va falloir vous battre pour votre existence ", lance Marc Blondel dans un discours-testament de trois heures et demie. M. Mailly se bat. Il ouvre le dialogue avec les autres confédérations mais refuse le concept de " syndicalisme rassemblé ", cher à la CGT. En  2006, FO participe au front syndical unitaire contre le contrat première embauche (CPE), qualifié de " flexi-précarité ". Un combat victorieux.
M.  Mailly part en guerre contre la réforme de la représentativité syndicale, initiée en  2008 par la CGT et la CFDT et mise en œuvre par M. Sarkozy, dans laquelle il voit l'amorce d'une recomposition syndicale. Cela ne l'empêche pas de se joindre, en  2009, au " G8 " syndical – avec la CGT, la CFDT, la CFTC, la CFE-CGC, l'UNSA, la FSU et Solidaires – qui se mobilise pour obtenir un changement de politique économique face à la crise. Pour la première fois, les huit syndicats vont jusqu'à manifester ensemble le 1er mai 2009. Rebelote en  2010, le " G8 " organise de puissantes journées d'action contre la réforme des retraites de M. Sarkozy. Sans succès cette fois. FO, qui demandait l'abrogation de la " contre-réforme ", se retire avant la fin du conflit. " On a été battus, mais sans être abattus, assure M.  Mailly. L'esprit de résistance demeure. "
Orientation radicaleTout au long de ses quatre mandats, M.  Mailly résiste aux trotskistes de FO qui réclament une sortie de la Confédération européenne des syndicats, mais il s'oppose au traité européen de 2005 et surtout au pacte budgétaire qui " enfonce le clou de l'austérité ". Membre du PS depuis 1986 – il n'a pas repris sa carte en  2017 –, M. Mailly affiche vite ses réticences face à la politique de M. Hollande. Il se félicite de la " restauration d'un dialogue normal " mais critique la méthode des conférences sociales annuelles – " la conférencionite " –, allant jusqu'à boycotter la troisième en  2014. Avocat de la " République sociale ", il fustige la méthode de démocratie sociale du président socialiste, jugeant que le jour où " les interlocuteurs sociaux feront les lois, nous serons en régime politique corporatiste et nous ne serons plus en démocratie ".
Le 24  janvier 2013, à Paris, devant 6 000 militants chauffés à blanc, M. Mailly imprime une orientation radicale, soulignant " l'urgence de remettre en cause le modèle capitaliste libéral et financier ", appelant à résister à une " austérité économiquement, socialement et démocratiquement suicidaire ", favorisant " la montée des extrémismes ", et à la " remise encause des principes républicains ". Il voit dans l'accord que la CFDT, la CFTC et la CFE-CGC viennent de signer sur l'emploi " un accord fossoyeur du code du travail ". Mais il se défend de toute " opposition politique ". Lorsque M. Hollande lance, au début de 2014, un " pacte deresponsabilité " avec le patronat, prévoyant des baisses de charges pour les entreprises avec en contrepartie des créations d'emplois, M.  Mailly dénonce un " pacte de complaisance ".
A cette époque, FO se range de plus en plus du côté des syndicats contestataires. A l'image de ce qu'avait fait Marc Blondel en  1995, M.  Mailly qui définit son syndicat par un drôle de " ni-ni " – " ni chiendegarde ni animal de compagnie " – se rapproche de la CGT. Avec sa sœur ennemie, FO participe, en  2016, à quatorze journées d'action pour réclamer, en vain, le retrait de la " folle loi " El Khomri sur le code du travail soupçonnée d'inverser la hiérarchie des normes. Un compagnonnage où FO apparaît dans la roue de la CGT.
M. Mailly saute toutes les barrières érigées par FO lors de sa création en  1948 sur la base de l'anticommunisme : interview croisée avec Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT, dans L'Humanité dimanche ; participation, en septembre  2016, à la Fête de L'Humanité. Dans le même temps, la rupture est consacrée avec la CFDT qui " a un côté syndicat officiel ".
Constatant l'échec de cette stratégie – très critiquée par les réformistes de FO au congrès de Tours en  2015 où, après avoir hésité, il rempile pour un dernier mandat –, M.  Mailly change de braquet après l'élection de M. Macron. Il se félicite de la " concertation intense " et qui " va dans le bon sens " sur le code du travail, avec le renforcement du rôle des branches, tout en critiquant sur le fond plusieurs " régressions ".
Service minimumIl met fin au " main dans la main " avec la CGT et se rapproche de la CFDT, louant la qualité de sa relation avec Laurent Berger. Au comité confédéral national – qui réunit les fédérations et les unions départementales – du 28  septembre 2017, M. Mailly est vivement contesté et obligé d'organiser une mobilisation interprofessionnelle avec la CGT, pour laquelle il fera le service minimum. Les anarchistes qui tiennent trois des quatre unions départementales de Bretagne réclament sa démission.
Face à ses contestataires qui soutiennent M. Pavageau, M. Mailly affiche sa sérénité, avant de rejoindre le Comité économique et social européen. Il s'attend lors de son discours d'ouverture, le 23  avril, devant plus de 3 000 délégués, à recueillir des sifflets et à ce que son rapport d'activité obtienne un score très éloigné des 97  % de 2015 et de 2011.
M. Pavageau a profondément renouvelé le bureau confédéral, avec six nouveaux membres sur 13 (mais aucun trotskiste). S'il renouera sans doute, au moins au départ, avec une ligne plus radicale, c'est dans une large mesure la composition de la commission exécutive de 35 membres, pour laquelle il y a près de 50 postulants, qui fixera l'équilibre politique. Actuellement, elle est à 60 % dominée par les réformistes, avec autour de 20 % de trotskistes. De quel côté penchera la balance ? C'est le véritable enjeu du congrès de Lille.
Michel Noblecourt
© Le Monde

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