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dimanche 22 avril 2018

Asile : le chemin escarpé des contestataires.......Le délit de solidarité pourrait être " adapté "......


22 avril 2018

Asile : le chemin escarpé des contestataires

Lors des débats sur le texte asile-immigration, les macronistes critiques se sont exprimés. Sans infléchir la ligne

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Ne surtout pas manquer le scrutin. Il est presque 22  heures, jeudi 19  avril, et la députée La République en marche (LRM) du Bas-Rhin, Martine Wonner, rejoint à petites foulées son siège en haut de l'Hémicycle. L'Assemblée nationale vote alors l'un des amendements au projet de loi asile et immigration déposé par le groupe socialiste. La députée " marcheuse " pressera le bouton " pour ", contrairement à ses collègues de la majorité.
Soutenir l'opposition sur certains votes est devenu l'une des dernières voies d'expression des députés LRM réfractaires au texte. Les débats sur ce projet de loi, qui a pour vocation principale de réduire les délais de traitement des demandes d'asile, se sont largement prolongés cette semaine. Dans ce contexte, une frange de macronistes qui s'opposent au texte a mené un combat discret, noyé dans les excès d'un débat principalement animé par la droite et l'extrême droite.
Loin d'une fronde systématique, ils ont avancé sur une ligne de crête, entre opposition franche et volonté de ne pas attaquer frontalement la majorité à laquelle ils appartiennent. Pas question pour eux de multiplier les prises de parole, comme l'ont fait leurs collègues du groupe Les Républicains (LR). " Allonger le débat pour quoi faire ?, balaye le député de la Vienne, Jean-Michel Clément. Mes idées on les connaît, je n'ai pas besoin d'en rajouter une couche. " Pour ne pas trop entraver l'examen de ce texte, les opposants se sont organisés. Ils ont réduit de moitié le nombre d'amendements déposés. Parfois, ils ont même renoncé à prendre la parole.
" On a joué le jeu "Jeudi soir, quatre d'entre eux ont accepté de ne pas s'exprimer lors de la discussion sur l'un des points les plus contestés du texte : la réduction des délais de recours après un refus de demande d'asile. Les débats s'éternisaient et il avait été demandé aux groupes de limiter le nombre de leurs orateurs. Les " marcheurs " se sont exécutés, avant de regretter tout de suite, voyant que les socialistes s'y refusaient. " On a joué le jeu, mais ça fait partie des frustrations ", confie Delphine Bagarry, députée des Alpes-de-Haute-Provence.
Pour le groupe de LRM, au sein duquel le projet de loi a fait l'objet de vifs débats, le plus dur est passé. Le nombre des voix récalcitrantes a diminué. Certains comme Matthieu Orphelin (Maine-et-Loire), qui ont vivement négocié avec le cabinet du ministre de l'intérieur pour amender le texte en commission, ont pris le parti de ne pas s'exprimer dans l'Hémicycle. Le nombre de signataires de certains amendements a fondu entre l'examen en commission et en séance publique. Entre-temps, Richard Ferrand, président du groupe, a menacé d'exclure ceux qui voteraient contre lors d'une réunion le 10  avril. Un coup de pression qui a calmé certains velléitaires.
Par petites touches, néanmoins, la quinzaine de députés prenant la parole ont contribué à faire entendre une musique différente. A leur voix se sont jointes celles d'élus MoDem. Avec des mots durs, les centristes ont notamment critiqué le recours favorisé aux audiences vidéo à différents stades de la procédure et la réduction des délais de recours devant la Cour nationale du droit d'asile (CNDA). Un amendement prévoyant de supprimer cette mesure a été l'un des scrutins les plus serrés, rejeté de vingt voix seulement. L'ensemble des députés MoDem présents ont voté pour, de même que l'ensemble des élus de gauche et 15 LRM. Une opposition stérile. Soutenu par la grande majorité des macronistes, le gouvernement fait avancer son texte sans devoir vraiment le modifier.
Dans ce contexte, la majorité a réussi la plupart du temps à éviter que le ton monte entre députés du même groupe. Les députés favorables au texte n'ont eu de cesse de défendre un texte " équilibré ". Gérard Collomb a, lui, oscillé entre un ton conciliant et quelques mots secs. " Lorsqu'on est ministre de l'intérieur, on est conscient de ses responsabilités, tous les jours ", a-t-il rétorqué à Florence Granjus, députée LRM des Yvelines, qui s'était inquiétée du risque de voir la CNDA submergée de dossiers.
Au final, le texte a marginalement évolué. Les macronistes les plus critiques espéraient encore deux avancées : un aménagement du délit de solidarité et la possibilité pour les demandeurs d'asile de travailler dès six mois après le dépôt de leur demande. Dans la semaine, ils ont aussi appris la création d'un groupe de travail pour préparer une proposition de loi sur la rétention des mineurs. Un grand nombre de députés LRM – au-delà des contestataires – souhaitaient introduire son interdiction dans le texte mais le ministre s'y est refusé. Le traitement de cette question est repoussé de plusieurs mois.
Delphine Bagarry veut pourtant voir la victoire ailleurs." On a fait s'interroger le groupe ", se félicite-t-elle. Les contestataires se sont fait entendre au-delà du Palais-Bourbon. Toute la semaine, ils ont multiplié les interventions dans les médias, publié des tribunes, au point d'agacer leurs collègues. " OK, il n'y a que les dingues ici ", glissait lundi 16 avril une élue LRM, voyant ses collègues répondre aux caméras. Vendredi 20 avril, à la presse qui interrogeait Delphine Bagarry, Richard Ferrand prodiguait ce conseil piquant : " Ecoutez bien Mme Bagarry, elle ne représente qu'elle-même, mais c'est précieux. "
Plutôt que de divergences, le patron des " marcheurs " préfère parler de " sincérités divergentes ". " Ce sont des gens estimables qui ne s'expriment pas avec la volonté de nuire à la majorité ", estime-t-il. Interrogé par BFM-TV et Mediapart, dimanche 15 avril au soir, Emmanuel Macron a dit que les discussions étaient " légitimes " et les députés LRM " libres ". Certains y ont vu un encouragement. " Parce que le président de la République a voulu rassembler des personnes venues de tous horizons politiques, on a d'autant plus besoin que des sensibilités s'expriment ! ", estime Stella Dupont, députée du Maine-et-Loire.
Richard Ferrand continue, lui, à vouloir appliquer strictement le règlement intérieur du groupe. " S'abstenir est un péché véniel, voter contre est un péché mortel ",maintient-il. Combien oseront, au moment du vote, risquer l'exclusion ? Pour l'heure, un seul député affirme clairement qu'il s'exécutera : Jean-Michel Clément, mal à l'aise depuis le début de la législature au sein du groupe LRM. Ses collègues sont plus mesurés. Mercredi soir, le petit groupe d'opposants a convié M. Ferrand à un dîner pour réexpliquer une dernière fois sa démarche. Le chef de file des " marcheurs " leur a redit qu'il " prendrait ses dispositions " à l'issue du texte, sans expliciter. " Il est resté dans le vague et nous aussi ", confie Delphine Bagarry.
Manon Rescan
© Le Monde


22 avril 2018

Le délit de solidarité pourrait être " adapté "

De plus en plus souvent, la justice choisit des motifs détournés pour poursuivre les personnes qui viennent en aide aux migrants

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La solidarité est-elle un délit ? Le sujet revient régulièrement sur le devant de la scène au gré des interpellations ou des condamnations. Des " délinquants solidaires ", comme ils se sont rebaptisés, sont devenus emblématiques. Cédric Herrou, le paysan de la Roya, placé plusieurs fois en garde à vue au nom de l'article L. 622-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (Ceseda), en est la meilleure illustration. Rebaptisé " délit de solidarité ", ce texte stipule que " toute personne qui aura, par aide directe ou indirecte, facilité ou tenté de faciliter l'entrée, la circulation ou le séjour irréguliers, d'un étranger en France sera punie d'un emprisonnement de cinq ans et d'une amende de 30 000  euros ". Dimanche 15  avril, lors de son entretien télévisé, le chef de l'Etat a souhaité voir modifier ce texte, qui devait être discuté au cours du week-end dans le cadre de l'examen de la loi asile et migration à l'Assemblée. Emmanuel Macron estime qu'" il y a des femmes et des hommes qui parfois sauvent des vies "" qui font preuve d'humanité " et dans leur cas il se dit favorable à l'idée de " l'adapter " pour tenir compte de " ce geste d'humanité ". Il n'est pas le premier, puisque si l'article a subi des réécritures depuis son entrée dans l'arsenal législatif en mai  1938, sa dernière version datée de décembre  2012 a été élaborée dans cet état d'esprit. A l'époque, le législateur souhaitait que les poursuites soient limitées à ceux qui demandent une contrepartie à leur aide. Les restrictions ajoutées n'ont pourtant pas empêché la multiplication de l'usage de ce texte depuis 2014 contre des associatifs et des personnes n'ayant pas bénéficié de contreparties. Sans compter que la justice choisit de plus en plus souvent des motifs détournés pour poursuivre ces soutiens.
" Climat d'intimidation "L'Auberge des migrants, une des principales associations d'aide du Calaisis, affirme en faire régulièrement l'expérience. Ainsi, son président, Christian Salomé, vient d'être auditionné mi-avril à Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais), sur demande du procureur, pour une avance d'argent faite depuis son compte personnel… Sa " deuxième audition sur les comptes de l'Auberge ", commente cet habitué des ennuis qui a par ailleurs passé sa matinée du 26  mars au commissariat de Calais, interrogé pour " délit d'installation en réunion sur le terrain d'autrui "." Trois jours plus tôt, deux bénévoles de l'association avaient distribué des tentes après que la police eut démantelé un rudiment de campement ", rappelle Loan Torondel, un jeune salarié de L'Auberge, convoqué pour le même motif, et non au titre de l'article de l'article L. 622-1 du Ceseda.
Outre des " dizaines de contrôle d'identité " auxquels il s'est toujours plié, le jeune homme de 21 ans arrivé en stage à Calais, après ses deux années de classe préparatoire en maths, est convoqué, lui, en justice le 29  mai à Boulogne-sur-Mer. M.  Torondel devra répondre d'un Tweet posté le 1er  janvier 2018, montrant deux policiers près d'un migrant assis. Outre la mention " policier prenant la couverture d'un migrant ", la réalité de ce moment hivernal était rappelée sous forme d'un dialogue fictif : " Mais il fait 2°! ", était-il écrit, suivi d'un " Peut-être mais nous sommes la nation française monsieur " ; expression dans la droite ligne des milliers de Tweet ayant repris cette partie des vœux télévisés du chef de l'Etat, la veille, rappelant que malgré nos " doutes "nous sommes la nation française ". Pour William Bourdon, son avocat, " cette poursuite s'inscrit bien évidemment dans la spirale de la criminalisation de ceux qui manifestent leur solidarité sous quelque forme que ce soit envers les migrants. Elle est malheureusement symptomatique du climat d'intimidation inacceptable que les pouvoirs publics veulent faire régner ".
Me Bourdon estime que pour dissuader d'aider, " on n'hésite plus à mobiliser des infractions qui poursuivent habituellement d'autres finalités et qui précisément sont gouvernées par le droit à la liberté d'expression ". Des faits qui tendent à minimiser l'avancée législative sur laquelle vont pourtant se battre quelques députés.
Maryline Baumard
© Le Monde

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