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samedi 21 avril 2018


21 avril 2018

Eparpillé, le mouvement social cherche sa voie

Si les conflits sont nombreux, la journée du 19 avril n'a pas débouché sur une " coagulation " des colères

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RETRAITES : LE CALENDRIER DES CONCERTATIONS
La ministre de la santé, Agnès Buzyn, a dévoilé, jeudi 19  avril, lors d'un colloque au Sénat, le programme des concertations sur la réforme des retraites. Six " grands blocs thématiques " doivent faire l'objet de discussions : les trois premiers d'ici à l'été et les autres durant l'automne. Seront abordées dans un premier temps les questions touchant aux minima de pension, à l'égalité hommes-femmes et aux avantages familiaux. La prise en compte de certaines spécificités professionnelles et les " départs anticipés à la retraite "seront examinés au dernier trimestre. " Il ne s'agit pas de réformer pour réformer, ou de réformer pour réduire les droits ou pour les niveler par le bas ", a assuré Mme Buzyn. Le président (LR) du Sénat, -Gérard Larcher, a cependant mis en garde l'exécutif contre" la brutalité - qui - peut parfois paralyser les réformes pourtant nécessaires ".
Une multitude de foyers épars mais pas d'embrasement généralisé. Au lendemain d'une nouvelle journée de mobilisation, la situation sur le front social semble bloquée entre un exécutif qui affiche sa fermeté et des organisations de salariés mobilisées sur plusieurs conflits. Jeudi 19  avril, à l'appel de la CGT et de Solidaires, près de 120 000, selon le ministère de l'intérieur, ont défilé dans toute la France pour dénoncer la politique du gouvernement. Même si la centrale de Philippe Martinez avance des chiffres plus élevés (près de 300 000), cette " action interprofessionnelle ", destinée à faire " converger les luttes ", n'a pas rencontré le succès espéré par ses initiateurs. Surtout si on la compare aux manifestations de fonctionnaires et de cheminots du 22  mars : ce jour-là, quelque 300 000  personnes avaient battu le pavé, d'après la police (500 000, selon la CGT).
Rien d'étonnant à cela : les autres confédérations représentatives avaient refusé de s'associer à l'opération de jeudi, décidée sans, concertation préalable, par le secrétaire général de la CGT. " Ce mode d'action n'apporte pas de réponses aux personnes qui ont des problèmes dans leur travail, a estimé, jeudi soir, sur Canal +, Véronique Descacq, la numéro deux de la CFDT. Aujourd'hui, on est dans un mouvement politique. Derrière la convergence des luttes, il y a l'idée d'agréger tous les mécontentements (…) pour essayer de déstabiliser le gouvernement. " Ce n'est pas- notre - rôle ", a-t-elle ajouté.
" Faire sauter le verrou "Grèves à la SNCF contre la réforme ferroviaire, revendications salariales chez Air France, blocages d'universités, résistance à l'évacuation de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, colère des fonctionnaires… La liste des conflits en cours est longue. Mais chacun d'eux vit selon une dynamique qui lui est propre, sans qu'il y ait " coagulation " :" Je ne suis pas certain que l'on aille vers une -convergence des luttes, confie Jean-Dominique Simonpoli, directeur général de l'association Dialogues et fin connaisseur des questions sociales. Les mouvements actuels touchent surtout le secteur public et parapublic. Dans le privé, peu d'entreprises sont -concernées : il s'agit d'initiatives localisées qui ont démarré sur des revendications spécifiques. Les syndicats d'Air France n'ont aucunement envie de se joindre à des actions visant à dénoncer la politique gouvernementale ; leur préoccupation est d'obtenir des augmentations salariales pour les personnels. Et l'on ne perçoit pas, pour l'heure, un élargissement des mobilisations à d'autres catégories de salariés. "
Faut-il en déduire que l'accalmie sociale serait bientôt en vue ? Pas du tout, répond en substance Stéphane Sirot, professeur à l'université de Cergy-Pontoise et spécialiste des mouvements sociaux. D'abord, observe-t-il, " Emmanuel Macron ne semble pas si mécontent d'avoir recours à l'affrontement ". Un exemple : la SNCF, pour laquelle deux annonces supplémentaires, faites lundi et mercredi, ont profondément choqué les syndicats (la filialisation du fret et la fin du recrutement au statut de cheminot dès le 1er  janvier 2020).
" Tous les grands libéraux cherchent ce qu'ils considèrent comme une grande victoire à porter à leur actif, et le président de la République est de ceux-là, complète -M.  Sirot. Reagan a affronté les aiguilleurs du ciel, Thatcher les mineurs et Emmanuel Macron veut l'emporter sur les cheminots. Surmonter cet obstacle, c'est faire sauter le principal verrou avant une réforme de plus grande envergure comme celle de retraites. "
Si l'exécutif parvient à gagner ses bras de fer et à mettre en œuvre ses projets, rien ne dit par contre qu'il ne sortira pas perdant à long terme : en dépit des protestations, la refonte des retraites était passée, en  2010, tout comme la loi El Khomri six ans plus tard. Des volontés réformatrices qui avaient conduit les pouvoirs en place à être balayés par la suite. Les électeurs " ont pris leur revanche dans les urnes ", souligne M.  Sirot.
" Forme d'arrogance "Sans attendre le prochain " test " électoral – les européennes de 2019 –, les syndicats ont l'intention de continuer à donner de la voix. Celle de Force ouvrière va sans doute gagner en décibels. A l'issue de son congrès, du 23 au 27  avril, le syndicat aura un nouveau secrétaire général : Pascal Pavageau. Celui-ci tient un discours beaucoup plus musclé que le numéro un sortant, Jean-Claude Mailly. " Notre responsabilité est d'expliquer et de soutenir les luttes ", plaide Pascal Pavageau.
Pour le moment, le futur leader de FO retient ses coups : " Nous n'en sommes pas encore à appeler à une mobilisation interprofessionnelle ", dit-il. Mais " si nous avons un mandat qui va en ce sens aux termes du congrès – et je ne doute pas qu'on l'aura –, et si on réalise qu'une large unité d'action est possible avec les autres centrales, il sera de notre responsabilité de montrer notre opposition frontale à la politique d'Emmanuel Macron ". Quitte à manifester et à appeler à la grève, précise M.  Pavageau. Avec un bémol : " Nous ne souhaitons pas nous enfermer dans une alliance avec les uns ou les autres. "
A l'échelon interprofessionnel, l'heure n'est pas à l'unité syndicale. Laurent Berger, le secrétaire général de la CFDT, a indiqué, jeudi, qu'il ne défilera pas avec la CGT le 1er  mai ; son organisation manifestera avec l'UNSA et la CFTC. Sur le plan sectoriel, il en va différemment. Les quatre organisations représentatives à la SNCF restent soudées – à ce stade. Et toutes les fédérations de fonctionnaires seront main dans la main, le 22  mai, pour exprimer leur hostilité aux intentions du gouvernement (recours accru aux contractuels, plan de départs volontaires…). Dans ce contexte, juge M.  Simonpoli, l'exécutif " devrait veiller à ne pas tomber dans une forme d'arrogance, sous peine d'être confronté à des réactions de jusqu'au-boutistes ".
Sarah Belouezzane, et Bertrand Bissuel
© Le Monde



21 avril 2018

" On n'a pas l'impression d'être entendus… Il faut qu'on continue "

A Paris, la CGT et Solidaires souhaitaient faire converger les luttes. Le cortège a surtout été animé par les agents du public et par les étudiants

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Sous le soleil printanier parisien, la manifestation appelée par la CGT et Solidaires n'a pas fait recette. La date choisie, en pleines vacances scolaires, n'a probablement pas aidé. Les deux syndicats contestataires ont perdu leur pari : la convergence des luttes, ou du moins des cortèges, ne s'est pas opérée en ce jeudi 19  avril.
Pierre Laurent et Olivier Besancenot, présents comme plusieurs dirigeants de La France insoumise, avaient beau vanter la " généralisation des grèves " et " une mobilisation qui s'enracine ", le cœur n'y était pas. Les cortèges départementaux de la CGT, comme ceux des différents secteurs (santé, énergie, communication, RATP…), n'ont pas réussi à grossir au fil de l'après-midi. Selon un comptage réalisé par le cabinet Occurrence pour un collectif de médias dont Le Monde, 15 300 personnes ont défilé entre la gare Montparnasse et la place d'Italie. La préfecture de police en a compté 11 500, tandis que la CGT en a revendiqué 50 000.
Les rangs syndicaux étaient surtout constitués d'agents du public. Mathilde Surat, 25 ans, en CDD depuis trois ans au sein du service social d'un hôpital et syndiquée CGT, a tenu à manifester. " Je suis venue parce que je me rends compte de la précarité grandissante de la population, mais aussi pour nous, salariés, de plus en plus précarisés.  Pour l'instant, on n'a pas l'impression d'être entendus, mais justement il faut qu'on continue. " C'est également l'avis de Fanny, aide-soignante à l'hôpital Saint-Louis, qui veut " exprimer - sa - colère " : " On est là pour dire à Macron d'arrêter ses réformes à tout-va. Avec celle de l'hôpital lancée il y a deux ans, tout part en vrille à l'hôpital. "
Se faire entendre du gouvernement, c'est ce qui motive Jean-Philippe, conducteur de la RATP : " On veut défendre nos valeurs et nos acquis, pour lesquels nos anciens ont fait la grève. Surtout, on ne veut pas se faire avoir par un gouvernement qui n'écoute pas son peuple. " Mais la plupart sont lucides sur l'état des forces. La désunion syndicale y est pour beaucoup : " Ce n'est qu'ensemble qu'on y arrivera, mais ça ne se fait pas,assure une retraitée qui préfère rester anonyme. Je ne comprends pas pourquoi il y a ces divisions, alors qu'on a en face de nous quelqu'un qui va tenir. "
A part quelques slogans – " Macron, t'es foutu, les cheminots sont dans la rue " ou le désormais classique " les jeunes dans la galère, les vieux dans la misère, cette société-là, on n'en veut pas " –, les cortèges n'étaient pas très animés et plutôt épars, hormis quelques groupes qui chantaient L'Internationale ou Bella ciao.
Crème solaire et bièresSeuls les étudiants des différentes facs et écoles supérieures parisiennes ont réussi à égayer la manifestation. Dans leurs rangs, crème solaire et bières pour se rafraîchir. Munie d'une pancarte proclamant " Désolée pour le dérangement, nous essayons de sauver notre avenir ", une jeune étudiante en philosophie à Paris-IV (qui, elle aussi, préfère rester anonyme) explique défiler " pour une université ouverte à tous  qui ne participe pas à la reproduction sociale d'une élite économique ". Plus loin, ses camarades scandent : " On va lutter ensemble, on va gagner ensemble. "
D'autres, plus prosaïques, répètent en chœur : " La sélection, c'est dégueulasse ! Macron, c'est dégueulasse ! " Marion, étudiante à Paris-I en droit, s'amuse en reprenant : " Des examens en chocolat ! De la violence, de la drogue et du sexe ! ",faisant allusion à la fois aux déclarations d'Emmanuel Macron et de Georges Haddad, président de l'université Paris-I. Un peu plus loin, Lucile, Margaux et Titouan, tous trois étudiants à Sciences Po Paris, disent  défiler " pour l'intérêt général ".
Venus en nombre, les black blocset autres groupes d'autonomes se sont massés dans le cortège de tête. Ils ont d'abord défilé tranquillement en chantant Freed from desire, de Gala, et scandant " Aha anti ! Anti ! Anticapitalistes ! ". Arrivés à Port-Royal, le ton a changé. Les plus déterminés, cagoulés ou masqués, ont commencé à harceler les forces de l'ordre. Ils ont ensuite attaqué quelques devantures et lancé des projectiles. En face, les policiers ont riposté avec du gaz lacrymogène et des bombes assourdissantes. La façade d'un hôtel, du mobilier urbain et plusieurs vitrines d'agences bancaires ou de compagnies d'assurances ont été endommagés.
Astrid de Villaines et Sylvia Zappi

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