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dimanche 18 mars 2018

Vladimir Poutine, acte V.....


18 mars 2018

Vladimir Poutine, acte V

Vladimir Poutine entamera dès la présidentielle du 18 mars son cinquième mandat, comme chef de l'Etat et premier ministre, après avoir étouffé toute contestation, souligne la politologue Marie Mendras

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Le 18  mars 2018, date du premier tour de la présidentielle, dix-huit ans après sa première élection, Vladimir -Poutine remportera un cinquième mandat, pour six ans, à la tête de la Russie. Le cinquième, pas le quatrième, comme une lecture institutionnaliste le laisse croire. En effet, la présidence Medvedev (2008-2012) était bien le troisième mandat. Le jeune protégé avait été élu avec l'engagement de faire de -Poutine un chef de gouvernement tout-puissant. " Votez Medvedev, vous garderez Poutine ", scandaient les médias aux ordres.
Cette année encore, le président russe a préféré un vote sous -contrôle à une élection honnête. Il a adoubé les sept autres candidats, qui animent le décor, et interdit la compétition au seul homme politique d'envergure, en pleine ascension dans le pays : Alexeï Navalny.
Si le Kremlin est convaincu du soutien enthousiaste des quelque 110  millions d'électeurs inscrits, pourquoi empêche-t-il un scrutin libre et pluraliste ? S'il croit vraiment aux " 85  % " de popularité du chef, pourquoi doit-il contrôler le vote des étudiants, fonctionnaires et retraités, augmenter les salaires pour remonter la participation, et remplir les urnes à l'avance en Tchétchénie ou au Tatarstan ? Seul le suffrage universel, libre et pluraliste est un test sûr de l'adhésion populaire. En mars  2012, le score -officiel de Poutine avait été de 63,6  %, son score réel estimé autour de 52 % à 55 %. Sur 110  millions d'électeurs inscrits, le président avait obtenu, avant fraudes, autour de 35  millions de suffrages. On était loin du plébiscite.
L'enjeu, la participationLe processus électoral est entièrement dirigé. Depuis la contestation anti-Poutine de l'hiver 2011-12, les fraudes électorales sont un secret de Polichinelle. La majorité des Russes interrogés par le Centre -Levada répondent que les scrutins ne sont pas équitables et servent le pouvoir. D'ailleurs, les enquêtes électorales de ce seul institut de sondages indépendant, qui a été obligé de se déclarer " agent de l'étranger ", sont interdites de publication. Les autres organisations ont pour mission de produire des intentions de vote qui correspondront aux résultats officiels.
Selon les experts indépendants, l'enjeu pour le Kremlin est le niveau de participation. Si seulement 55 % à 58  % des électeurs inscrits se rendent aux urnes, Vladimir Poutine ne pourra pas dépasser 60  % de suffrages exprimés. Avec une participation nationale remontée à 65  %, le président peut être crédité de 65 % à 70  % des suffrages. Il est donc impératif de mobiliser les Russes et de consolider les millions de suffrages ficelés d'avance dans les " sultanats ". Le politologue Dmitry -Oreshkin nomme ainsi une quinzaine de républiques et grandes villes où les chefs d'administration contrôlent les urnes et fournissent des résultats quasi unanimistes.
Le Kremlin a le choix entre frauder beaucoup pour obtenir un vote de type quasi plébiscitaire, ou frauder moins et assurer la continuité du groupe dirigeant en sauvant les apparences. Bien entendu, il est exclu d'envisager un second tour. Il importe de maintenir au plus bas niveau possible le score des candidats, notamment le représentant du PC, et l'inoxydable Vladimir Jirinovski pour le parti d'extrême droite. La plupart des Russes ont oublié qu'un second tour avait eu lieu en  1996, opposant Boris Eltsine au candidat communiste.
Ainsi, on comprend mieux l'acharnement du Kremlin contre Alexeï Navalny, le seul opposant qui ose exposer sur son site la corruption du groupe dirigeant. Navalny a demandé aux Russes de boycotter les urnes, tout en participant à la dénonciation des fraudes : " Ne votez pas, mais observez le scrutin ! " est sa consigne. Interdit de scrutin à cause d'une condamnation judiciaire dénoncée par la Cour européenne des droits de l'homme, il a mené campagne sur son blog et dans de grands meetings aux quatre coins de la Russie. Avocat et fondateur de la Fondation pour la lutte contre la corruption, il a été arrêté plusieurs fois cette année, son appartement et ses bureaux ont été perquisitionnés, tout comme plusieurs de ses QG en province.
Garder le pouvoir à tout prixSon nom ne figure pas sur le bulletin de vote, mais c'est lui le phénomène politique du jour. Désormais, Poutine doit imposer son autorité par la force, enfermer les Russes dans une propagande militariste et agressive, et diaboliser l'ennemi : l'Occident, l'Ukraine et la cinquième colonne, c'est-à-dire les Russes qui ne sont pas d'accord avec lui.
Vladimir Poutine n'envisage pas son avenir autour d'un " mandat présidentiel ". Il n'est pas le locataire du Kremlin, il a pris possession des lieux de pouvoir. Avec quelques dizaines d'associés, il détient les ressources (économiques, administratives, militaires) qui lui permettent de contrôler le pays. Son combat quotidien est de garder le pouvoir, sans jamais suggérer qu'il pourrait laisser la place à un autre. Son nouveau mandat ne lui donne aucun répit, car il sait que son sort ne se joue pas dans les -urnes, mais dans sa capacité à étouffer la contestation au sein d'une société inquiète de l'avenir. Les élites urbaines sont perturbées par la montée de l'arbitraire et l'absence de perspectives.
Le refus d'envisager un départ du pouvoir sera le talon d'Achille du président, mais aussi sa force de combat. Car il est en mode survie. Il se battra jusqu'au bout pour ne pas accepter la finitude de son pouvoir, et de son existence. Il devra affirmer son pouvoir personnel et intemporel, hors des mécanismes institutionnels. En refusant de promouvoir un successeur, Poutine a écarté le modèle dynastique et tente de -sublimer son rôle dans la défense de la nation en danger. Le verbe et le glaive portent le règne poutinien, au détriment des réformes -condamnant le pays au déclin et aux conflits.
Marie Mendras
© Le Monde



18 mars 2018

Sortons de cette spirale des menaces entre Russes et Occidentaux

Selon Jean Radvanyi, spécialiste de la Russie et de l'ancien espace soviétique, le temps est venu de retrouver ses esprits même s'il est difficile de parler avec le président russe

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Alors que s'achève une campagne présidentielle russe sans enjeu, tant le résultat est connu d'avance, la politique extérieure a fait une entrée spectaculaire dans le champ -médiatique. Plusieurs épisodes sont venus raviver les polémiques quant au rôle de la -Russie dans le monde, une des clés de la rhétorique poutinienne.
Dernier voyage du candidat sortant, la rencontre entre Vladimir Poutine et les constructeurs du pont qui doit relier -bientôt la Crimée à la Russie est venue rappeler aux électeurs l'annexion de la péninsule (les Russes parlent de réintégration) qui a pratiquement fait l'unanimité dans l'opinion russe. Mais les combats continuent au Donbass oriental et l'intervention de l'armée russe, niée officiellement, a fait basculer dans une nouvelle russophobie la majorité de la population ukrainienne, une réalité douloureuse pour les nombreuses familles partagées entre les deux pays.
La tension est aussi montée d'un cran sur le terrain syrien quand le chef d'état-major russe a menacé de s'attaquer aux navires lanceurs de missiles américains au cas où l'armée américaine procéderait à des bombardements sur Damas. Cela faisait suite à des déclarations de Nikki Haley, la représentante des Etats-Unis à l'ONU, qui n'excluait aucune option dans le cas où Bachar Al-Assad poursuivrait ses attaques à l'arme chimique sur la Ghouta orientale. Jusqu'où le Kremlin est-il prêt à défendre le dictateur syrien ? Si l'intervention russe en Syrie a renforcé la position de Moscou et confirmé auprès des Russes que leur pays était redevenu un acteur majeur sur la scène internationale, cette complicité avec un régime qui n'hésite pas à massacrer son propre peuple pour rester au pouvoir demeurera une tache funeste sur l'image du président russe.
Encore plus inquiétante est la relance annoncée de la course aux armements nucléaires qui rompt avec une période de réduction concertée de ces armes. Le 1er  mars, lors de son adresse au Parlement russe, Vladimir Poutine annonçait la mise au point d'une nouvelle génération de missiles, selon lui indétectables, et donc susceptibles de pénétrer les défenses antimissiles déployées par les Etats-Unis. Il entendait démontrer ainsi que son pays resterait protégé en dépit de la relance par Washington de l'escalade militaire. Non content d'augmenter de façon sensible le budget du Pentagone, déjà dix fois supérieur au budget militaire russe, le ministère de la défense américain venait en effet de publier (le 2  février) une " Révision de la posture nucléaire " -(Nuclear Posture Review) qui remet le nucléaire au cœur de la stratégie de sécurité. Le texte, jugé " agressif dans le discours ", selon une source française citée par Le Monde, dans son édition du 9  mars, a supprimé toute référence à la recherche du désarmement.
nouvelles sanctions contre MoscouLes principaux médias occidentaux ont largement commenté ces événements en soulignant ce qui est, selon eux, la manifestation évidente d'un regain d'agressivité russe. Or, comme l'a montré Pierre -Conesa dans son ouvrage La Fabrication de l'ennemi (Laffont, 2011), la désignation d'un ennemi n'a rien de naturel ; la construction d'une " menace " a ses règles et ses acteurs. Et il ne manque pas de voix pour actionner cette spirale des menaces. En Russie, les grands médias, tous contrôlés par le pouvoir ou ses proches, ne ratent pas une occasion pour mobiliser l'opinion contre les complots, l'agression permanente dont ferait l'objet leur pays de la part de l'Occident. Mais, en Occident, tout est bon pour construire patiemment l'image d'une Russie menaçante qui, sous la houlette de M. Poutine, ne peut qu'être agressive.
Arte se délecte du succès de la série Occupied,qui met en scène une Norvège envahie par les Russes, et la BBC s'était distinguée en produisant en  2016 un docu-fiction très réaliste, Inside the War Room, montrant comment on arrivait à la troisième guerre mondiale à partir d'incidents survenus dans la minorité russe de Lettonie. Les alarmes de l'opinion des Etats baltes ont d'ailleurs été suivies d'effet -puisque l'OTAN a décidé au sommet de Varsovie (juillet  2016) de créer dans chacun des trois Etats un bataillon censé les protéger de la menace russe.
C'est dans ce contexte que survient l'affaire de l'empoisonnement de l'espion russe Sergueï Skripal et de sa fille.Pour les Russes, c'est une provocation à la veille de l'élection présidentielle et, plus encore, dans la perspective de la tenue d'ici quelques semaines de la Coupe du monde de football à laquelle tient particulièrement M.  Poutine. Pour les autorités de Londres, qui se souviennent de l'empoisonnement en  2006 d'Alexandre Litvinenko, l'implication du Kremlin est claire et, sans attendre de savoir formellement qui avait administré ce poison, Theresa May, la première ministre britannique, a décidé de nouvelles sanctions contre Moscou, vite soutenue par Washington, Paris et Berlin dans la dénonciation d'un nouveau degré de l'agressivité russe.
La spirale des menaces est ainsi relancée et les partenaires européens sont invités à serrer les rangs face au président russe qui entamera demain son quatrième mandat. Faut-il à notre tour, comme le recommande François Hollande, menacer la Russie ? Est-il de mauvais ton de rappeler que c'est le gouvernement britannique de Tony Blair qui fut le plus ardent défenseur des mensonges du Pentagone à propos des armes de destruction massive de l'Irak, autre bel exemple de construction d'une menace qui conduisit à la catastrophe dans cette région du monde ?
Il est certainement nécessaire de condamner les errements de la politique russe quand elle contrevient aux règles internationales. Et il n'est pas facile de discuter avec un président russe qui sait compter sur un soutien solide au sein de sa population. Mais n'est-il pas nécessaire de sortir de cette spirale des menaces et, alors que l'Amérique de M.  Trump défend pied à pied ses seuls intérêts, d'engager de vraies discussions où seraient pris en compte à la fois les intérêts européens et ceux de la Russie ?
Jean Radvanyi
© Le Monde


18 mars 2018

Le sombre bilan du nouveau tsar

Pour l'historien Antoine Arjakovsky, le rapport, censuré mi-mars, des opposants au régime russe Ilya Yachine et Vladimir Milov condamne à juste titre la politique menée depuis dix-huit ans

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Le 11  mars à Moscou, Ilya Yachine et Vladimir Milov, deux opposants à Poutine, ont présenté devant la presse leur dossier " Poutine : le bilan 2018 ". Ils appartiennent à la nouvelle génération des hommes politiques russes héritiers de Boris Nemtsov, assassiné en 2015 à Moscou. Ilya Yachine a été élu en  2017 député de la municipalité de Moscou. Vladimir Milov a été le vice-ministre de l'énergie, en  2002, du gouvernement de Kassianov. Il est l'un des membres de la plate-forme d'opposition créée par Alexeï Navalny en  2017, avant que celui-ci n'ait été empêché de se présenter à l'élection présidentielle. Tous deux sont les principaux dirigeants du mouvement Solidarnost créé en  2008.
Leur bilan des dix-huit années de pouvoir de Poutine est sans appel. Ils expliquent que, entre 2000 et 2017, l'Etat russe a reçu une manne financière exceptionnelle de " 3,5  trillions de dollars " du fait des exportations de pétrole et de gaz à des tarifs sans précédent. Avec cette somme, les deux hommes expliquent que des dizaines de milliers d'écoles et d'hôpitaux auraient pu être construits et des centaines de milliers de kilomètres d'autoroute auraient pu être réalisés. A l'inverse, des milliers d'écoles ont été fermées et le nombre d'enseignants a diminué d'un tiers. Il n'y a plus que 5 400  hôpitaux, contre 10 700 en l'an 2000. Et il n'existe -toujours pas d'autoroute entre les deux principales villes du pays, Moscou et Saint-Pétersbourg.
Yachine et Milov expliquent également que, depuis 2013, le revenu moyen mensuel des Russes est passé de 800 à 500  dollars, tandis que le PIB par habitant de la Russie est descendu à la 49e place dans le monde.
La politique extérieure de Vladimir Poutine est pour eux également catastrophique. Alors que la Russie, à la fin de l'ère Eltsine, faisait partie du G8 et était largement intégrée au sein de la communauté internationale au point de mener des négociations avec l'OTAN et l'Union européenne, dix-huit ans plus tard, le pouvoir russe est mis au ban de la communauté internationale et est empêtré dans des scandales à répétition. Les auteurs mentionnent les sanctions qui frappent le pays en raison de l'annexion de la Crimée et de la déstabilisation du Donbass ukrainien. Ils reprochent également au Kremlin ses guerres inutiles en Géorgie ou en Syrie. On peut aisément ajouter d'autres scandales récents, comme l'affaire d'empoisonnement de Sergueï Skripal et de sa fille Youlia ou encore les dizaines de cyberattaques dans lesquelles sont impliqués des -hackeurs russes.
Simulacre de démocratiePour les deux opposants russes, l'échec de la politique de Poutine est lié à sa " vision mafieuse de l'Etat ". Le président Poutine est devenu l'un des hommes les plus riches du monde et a créé un système de corruption généralisée qui bénéficie en premier lieu à sa famille et à son cercle de proches. Alors que, en  2000, il n'y avait pas un seul milliardaire en Russie, il y a aujourd'hui, selon le journal Forbes, 96 milliardaires russes en dollars. C'est ainsi que 10  % de la population contrôle 77  % de la richesse nationale russe. Ces chiffres recoupent ceux que l'universitaire américaine Karen Dawisha avait publiés dans Putin's Kleptocracy (" la kleptocracie de Poutine ")en  2014. En février dernier, une vidéo présentée par Alexeï Navalny sur son site a montré le vice-premier ministre russe, Sergueï Prikhodko, sur le yacht d'un oligarque russe, Oleg Deripaska, propriétaire du géant de l'aluminium Rusal, en compagnie d'une call-girl et discutant des moyens de corrompre des figures politiques américaines.
Les deux auteurs fustigent enfin l'absence de liberté d'expression en Russie. Cela est probablement la clé principale permettant de comprendre pourquoi les Russes ne se révoltent pas encore face au simulacre de démocratie mis en place par le Kremlin. En effet, il suffit aujourd'hui en Russie d'un message sur les réseaux sociaux hostile à l'annexion de la Crimée pour être envoyé pendant deux ans en prison. Lorsque Alexeï Navalny organise des manifestations hostiles au régime, il est immédiatement arrêté et jeté en prison. Et lorsque Yachine et Milov ont voulu remettre leur rapport à la presse le 11  mars dernier, ils ont dû s'excuser en expliquant que tout le tirage venait d'être saisi par la police. Celle-ci voulait vérifier qu'il ne s'agissait pas d'une littérature extrémiste…
L'interdiction de toute véritable opposition permet de comprendre pourquoi Vladimir Poutine n'a pratiquement pas fait campagne, à part quelques interviews, deux films, une apparition de trois minutes à un rassemblement, une adresse au Parlement russe et un court voyage le 14  mars en Crimée. Car, malgré toutes les protestations internationales, les Criméens votent pour la première fois dans le cadre de la Fédération de Russie. Poutine a donc eu à cœur d'organiser ses services afin de pousser la population à voter pour lui. Le 18  mars, jour du scrutin, sera en effet le quatrième anniversaire de l'annexion illégale de la presqu'île ukrainienne.
Antoine Arjakovsky
© Le Monde

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