18 mars 2018 |
Sortons de cette spirale des menaces entre Russes et Occidentaux
Selon Jean Radvanyi, spécialiste de la Russie et de l'ancien espace soviétique, le temps est venu de retrouver ses esprits même s'il est difficile de parler avec le président russe
Alors que s'achève une campagne présidentielle russe sans enjeu, tant le résultat est connu d'avance, la politique extérieure a fait une entrée spectaculaire dans le champ -médiatique. Plusieurs épisodes sont venus raviver les polémiques quant au rôle de la -Russie dans le monde, une des clés de la rhétorique poutinienne.
Dernier voyage du candidat sortant, la rencontre entre Vladimir Poutine et les constructeurs du pont qui doit relier -bientôt la Crimée à la Russie est venue rappeler aux électeurs l'annexion de la péninsule (les Russes parlent de réintégration) qui a pratiquement fait l'unanimité dans l'opinion russe. Mais les combats continuent au Donbass oriental et l'intervention de l'armée russe, niée officiellement, a fait basculer dans une nouvelle russophobie la majorité de la population ukrainienne, une réalité douloureuse pour les nombreuses familles partagées entre les deux pays.La tension est aussi montée d'un cran sur le terrain syrien quand le chef d'état-major russe a menacé de s'attaquer aux navires lanceurs de missiles américains au cas où l'armée américaine procéderait à des bombardements sur Damas. Cela faisait suite à des déclarations de Nikki Haley, la représentante des Etats-Unis à l'ONU, qui n'excluait aucune option dans le cas où Bachar Al-Assad poursuivrait ses attaques à l'arme chimique sur la Ghouta orientale. Jusqu'où le Kremlin est-il prêt à défendre le dictateur syrien ? Si l'intervention russe en Syrie a renforcé la position de Moscou et confirmé auprès des Russes que leur pays était redevenu un acteur majeur sur la scène internationale, cette complicité avec un régime qui n'hésite pas à massacrer son propre peuple pour rester au pouvoir demeurera une tache funeste sur l'image du président russe. Encore plus inquiétante est la relance annoncée de la course aux armements nucléaires qui rompt avec une période de réduction concertée de ces armes. Le 1er mars, lors de son adresse au Parlement russe, Vladimir Poutine annonçait la mise au point d'une nouvelle génération de missiles, selon lui indétectables, et donc susceptibles de pénétrer les défenses antimissiles déployées par les Etats-Unis. Il entendait démontrer ainsi que son pays resterait protégé en dépit de la relance par Washington de l'escalade militaire. Non content d'augmenter de façon sensible le budget du Pentagone, déjà dix fois supérieur au budget militaire russe, le ministère de la défense américain venait en effet de publier (le 2 février) une " Révision de la posture nucléaire " -(Nuclear Posture Review) qui remet le nucléaire au cœur de la stratégie de sécurité. Le texte, jugé " agressif dans le discours ", selon une source française citée par Le Monde, dans son édition du 9 mars, a supprimé toute référence à la recherche du désarmement. nouvelles sanctions contre MoscouLes principaux médias occidentaux ont largement commenté ces événements en soulignant ce qui est, selon eux, la manifestation évidente d'un regain d'agressivité russe. Or, comme l'a montré Pierre -Conesa dans son ouvrage La Fabrication de l'ennemi (Laffont, 2011), la désignation d'un ennemi n'a rien de naturel ; la construction d'une " menace " a ses règles et ses acteurs. Et il ne manque pas de voix pour actionner cette spirale des menaces. En Russie, les grands médias, tous contrôlés par le pouvoir ou ses proches, ne ratent pas une occasion pour mobiliser l'opinion contre les complots, l'agression permanente dont ferait l'objet leur pays de la part de l'Occident. Mais, en Occident, tout est bon pour construire patiemment l'image d'une Russie menaçante qui, sous la houlette de M. Poutine, ne peut qu'être agressive. Arte se délecte du succès de la série Occupied,qui met en scène une Norvège envahie par les Russes, et la BBC s'était distinguée en produisant en 2016 un docu-fiction très réaliste, Inside the War Room, montrant comment on arrivait à la troisième guerre mondiale à partir d'incidents survenus dans la minorité russe de Lettonie. Les alarmes de l'opinion des Etats baltes ont d'ailleurs été suivies d'effet -puisque l'OTAN a décidé au sommet de Varsovie (juillet 2016) de créer dans chacun des trois Etats un bataillon censé les protéger de la menace russe. C'est dans ce contexte que survient l'affaire de l'empoisonnement de l'espion russe Sergueï Skripal et de sa fille.Pour les Russes, c'est une provocation à la veille de l'élection présidentielle et, plus encore, dans la perspective de la tenue d'ici quelques semaines de la Coupe du monde de football à laquelle tient particulièrement M. Poutine. Pour les autorités de Londres, qui se souviennent de l'empoisonnement en 2006 d'Alexandre Litvinenko, l'implication du Kremlin est claire et, sans attendre de savoir formellement qui avait administré ce poison, Theresa May, la première ministre britannique, a décidé de nouvelles sanctions contre Moscou, vite soutenue par Washington, Paris et Berlin dans la dénonciation d'un nouveau degré de l'agressivité russe. La spirale des menaces est ainsi relancée et les partenaires européens sont invités à serrer les rangs face au président russe qui entamera demain son quatrième mandat. Faut-il à notre tour, comme le recommande François Hollande, menacer la Russie ? Est-il de mauvais ton de rappeler que c'est le gouvernement britannique de Tony Blair qui fut le plus ardent défenseur des mensonges du Pentagone à propos des armes de destruction massive de l'Irak, autre bel exemple de construction d'une menace qui conduisit à la catastrophe dans cette région du monde ? Il est certainement nécessaire de condamner les errements de la politique russe quand elle contrevient aux règles internationales. Et il n'est pas facile de discuter avec un président russe qui sait compter sur un soutien solide au sein de sa population. Mais n'est-il pas nécessaire de sortir de cette spirale des menaces et, alors que l'Amérique de M. Trump défend pied à pied ses seuls intérêts, d'engager de vraies discussions où seraient pris en compte à la fois les intérêts européens et ceux de la Russie ? Jean Radvanyi
© Le Monde
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