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dimanche 18 mars 2018

Tests sanguins : la trop belle histoire de la start-up Theranos


18 mars 2018

Tests sanguins : la trop belle histoire de la start-up Theranos

Cette jeune pousse, valorisée jusqu'à 9 milliards de dollars, avait mis au point une vaste escroquerie

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700 MILLIONS
de dollars
C'est la somme que Theranos, selon la SEC, le gendarme boursier américain, est parvenu à lever auprès d'investisseurs, en mentant sur sa technologie et sur son potentiel commercial.
Les révélations sont accablantes pour Elizabeth Holmes. Dans un acte d'accusation publié mercredi 14  mars, la Securities &  Exchange Commission (SEC) décrit des années de mensonges et de subterfuges chez Theranos, la start-up lancée et dirigée par cette ancienne étoile montante de la -Silicon Valley dont l'ambition était de révolutionner les analyses de sang. " Une fraude élaborée ", selon le gendarme boursier américain, qui a permis de " lever plus de 700  millions de dollars - 570  millions d'euros - auprès d'investisseurs ".
Face à ces accusations, Mme Holmes a conclu un accord à l'amiable avec la SEC, lui évitant un procès dans ce volet de l'affaire – une autre procédure est toujours ouverte au sein du département américain de la justice. Elle a accepté de payer 500 000  dollars d'amende, de céder une partie du capital de l'entreprise et de renoncer à sa majorité de contrôle. Elle n'aura pas, par ailleurs, le droit de diriger un groupe coté en Bourse au cours des dix prochaines années. Mais elle peut conserver la tête de Theranos, qui tente encore de survivre à ce gigantesque scandale.
L'histoire était pourtant belle, trop belle peut-être. Elizabeth Holmes a fondé Theranos en  2003, à seulement 19 ans. Sa promesse est révolutionnaire : réaliser des tests avec seulement quelques gouttes de sang, soit entre cent et mille fois moins que la quantité actuellement nécessaire. La société avait développé sa propre méthode de prélèvement, sans aiguille, et sa propre machine d'analyse. Elle proposait plus de 200 examens, à des prix bien inférieurs aux laboratoires traditionnels.
Le marché est prometteur (75  milliards de dollars par an aux Etats-Unis). Et les investisseurs affluent rapidement. En  2014, la jeune pousse est valorisée à 9  milliards de dollars. Sur le papier, Mme Holmes devient ainsi la plus jeune milliardaire non-héritière du monde. Certains n'hésitent pas à la comparer à Steve Jobs, le cofondateur d'Apple. Elle s'affiche aux côtés de Bill Clinton, l'ancien président américain. Et fait la " une " des magazines, comme celle du supplément mensuel du New York Times, le 12  octobre 2015.
Ce sont ses derniers instants de gloire. Quatre jours plus tard, le Wall Street Journalpublie une enquête dévastatrice. Le quotidien financier assure qu'une infime partie seulement des analyses proposées par Theranos sont effectuées avec ses propres instruments. Et que leur fiabilité est limitée. La société riposte. Elle dénonce des articles à charge. Elle promet aussi de publier des études scientifiques pour prouver sa bonne foi, ce qu'elle ne fera jamais.
Faux rapportsLes autorités sanitaires se saisissent alors du dossier. En juillet  2016, Mme Holmes est condamnée à deux ans d'interdiction de posséder ou de gérer un laboratoire médical. Trois mois plus tard, Theranos renonce à effectuer des analyses de sang. Elle change de stratégie et se lance dans la conception d'une petite machine d'analyse qui pourrait permettre de réaliser à distance une multitude de tests. Près de 500 emplois sont supprimés. Fin 2017, l'entreprise frôle le dépôt de bilan. Elle ne doit sa survie qu'à un emprunt de dernière minute.
Sur 24 pages, l'acte d'accusation de la SEC liste les multiples mensonges de Theranos. La jeune pousse n'a jamais indiqué à ses investisseurs et à ses partenaires – la chaîne de pharmacies Walgreens et les supermarchés Safeway – que ses machines ne réalisaient que 12 des 200 tests disponibles. Pour les autres, elle utilisait des équipements traditionnels ou envoyait les échantillons de sang à d'autres laboratoires. Pour cacher cette limite, elle organisait de fausses démonstrations, installant dans son laboratoire d'analyse des prototypes non opérationnels.
D'autres éléments sont encore plus accablants. Pour convaincre des fonds de capital-risque de participer à ses levées de fonds, Theranos avait rédigé de faux rapports attribués à de grands laboratoires pharmaceutiques. La société indiquait aussi que l'armée américaine utilisait sa machine en Afghanistan et qu'elle l'avait installée dans ses hélicoptères médicaux. Elle expliquait également ne pas avoir besoin de l'autorisation de la FDA, l'agence de santé américaine. Autant d'affirmations mensongères.
Les responsables de Theranos ont par ailleurs falsifié les performances financières de la start-up. Ils assuraient que son chiffre d'affaires s'était élevé à 100  millions de dollars en  2014, quand il n'avait été en réalité que de 100 000  dollars. Ils prédisaient aussi des recettes d'un milliard de dollars pour 2015, promettant l'ouverture d'un millier de centres de prélèvement chez Walgreens et Safeway. Au même moment pourtant, les discussions avec ses deux partenaires étaient au point mort.
Pour les investisseurs de Theranos, l'espoir de récupérer leur mise est désormais infime. Si l'entreprise est toujours en vie, sa valeur a fondu, et sa crédibilité est quasi nulle. " L'histoire de Theranos constitue une leçon importante pour la Silicon Valley ", assène Jina Choi, directrice du bureau de la SEC à San Francisco. Reste à savoir si cette leçon ne sera pas rapidement oubliée.
Jérôme Marin
© Le Monde

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