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dimanche 18 mars 2018

Première présidentielle russe en Crimée


18 mars 2018

Première présidentielle russe en Crimée

La péninsule vote, quatre ans jour pour jour après son annexion

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En pleine crise diplomatique aiguë entre Londres et Moscou, provoquée par l'empoisonnement d'un agent double russe sur le sol anglais, Boris Johnson, le ministre des affaires étrangères britannique, a reçu, mercredi 14  mars, une délégation des Tatars de -Crimée menée par leur chef, Moustafa Djemilev, résidant aujourd'hui à Kiev.
La rencontre a eu lieu le jour même où Vladimir Poutine visitait sur place, à l'est de la Crimée, le pont de Kertch, en cours de finition pour relier le territoire à la Russie continentale. Bientôt, a promis Moscou, il sera ainsi définitivement arrimé à la " mère patrie ". En attendant, l'élection présidentielle russe organisée dimanche 18  mars, quatre ans jour pour jour après l'annexion par la Russie, marque une étape supplémentaire dans le processus d'intégration de la péninsule ukrainienne.
A Simferopol, capitale de la -Crimée, Zaïr Smedlov donne rendez-vous devant la Cour suprême. " Pour éviter les rassemblements, les bancs ont été enlevés ", prévient-il d'emblée, en s'excusant. Les Tatars s'attroupent régulièrement ici afin de soutenir des membres de cette communauté musulmane autochtone opposée depuis 2014 aux nouvelles autorités russes. Ce 13  mars, quatre d'entre eux, soupçonnés d'escroquerie, passent en appel. " Depuis un an, c'est la nouvelle tendance, ceux qui ne sont pas d'accord avec le pouvoir sont arrêtés pour n'importe quelle raison, affirme Zaïr Smedlov. On ouvre des affaires pénales sur tout, même pour des publications sur les réseaux sociaux. "
Cet ancien professeur de dessin, ex-secrétaire du Mejliss, le conseil des Tatars de Crimée classé " extrémiste " par Moscou en  2016, observe avec une froide indifférence les préparatifs pour la présidentielle russe, prévue pour la première fois dans la péninsule. " Ce n'est pas notre affaire ", lâche-t-il, à rebours du climat général.
Partout dans la ville, des affiches proclament " Simferopol pour une Russie forte " sous le portrait du chef du Kremlin. Plus de 1,4  million de votants sont inscrits sur les listes de Crimée, auxquels s'ajoutent 311 168 électeurs potentiels à Sébastopol (la péninsule est divisée en deux régions). Des chiffres stables par rapport au référendum contesté de mars  2014. Les départs d'habitants ukrainiens et de quelque 20 000 Tatars, hostiles aux autorités, ont été compensés par l'arrivée de fonctionnaires et d'ouvriers russes.
A quelques dizaines de mètres à peine du tribunal, la commission électorale de Crimée met les bouchées doubles pour combattre l'abstention. Chaque électeur a reçu par courrier une " invitation " personnalisée pour se rendre dans l'un des 1 206 bureaux de vote, en plus de ceux prévus à Sébastopol.
Quarante-deux bureaux supplémentaires ont été ouverts, pour " faciliter " la démarche des personnes éloignées de leur domicile, dans les prisons, les hôpitaux, sur le chantier du pont de Kertch ou sur celui du nouveau terminal international de l'aéroport – bien que celui-ci n'accueille plus de vols de l'étranger. " En cas d'empêchement physique, chacun peut appeler jusqu'à 14  heures pour demander à voter à domicile ", dit Mikhaïl Chamilev, président de la commission. Autre particularité : les bulletins sont édités en trois langues, russe, ukrainienne et tatare.
" Haute trahison "L'enjeu de la participation est d'autant plus sensible ici que, depuis Kiev, le 4  mars, les autorités ukrainiennes ont prévenu : les Criméens qui participent à l'organisation de l'élection sur un territoire " occupé " pourront être poursuivis pour " haute trahison "avec, à la clé, quinze ans d'emprisonnement. Il s'agit plutôt de communication politique ukrainienne à usage interne, balaie Mikhaïl Chamilev tout en reconnaissant un désistement dans son équipe : " Quelqu'un qui a de la famille là-bas et qui a eu peur. "
Valentina, une guillerette retraitée installée en Crimée depuis vingt-neuf ans, n'a pas cette appréhension. Elle cochera le nom Poutine sur son bulletin et plutôt deux fois qu'une. " Nous sommes devenus de vrais Russes, c'est le plus important ! ", s'exclame-t-elle dans un grand sourire. " La Crimée est devenue plus sûre d'elle-même ", approuve, de son côté, Andreï, un grand gaillard employé dans la marine à Sébastopol, siège de la flotte russe de la mer Noire. " Za Poutina ! ", " pour Poutine ", confirme Dmitri, 23 ans. Etudiant en mécanique, il n'envisage pas de retour en arrière possible tout en concevant néanmoins son avenir à l'étranger car, glisse-t-il, " les perspectives, ici, ne sont pas bonnes ".
" Poutine est un leadeur fort sur le plan international, mais, sur le plan intérieur, il n'est pas capable de faire en sorte que les gens vivent bien, alors que le pays est riche ", grogne Viktor Chklarenko, assis au milieu de piles de tracts dans le QG du Parti communiste. Le candidat de ce dernier, Pavel Groudinine, n'est pourtant pas venu faire campagne ici, pas plus que les autres. Par peur des sanctions ?
" L'Union européenne ne reconnaît pas les élections que la Fédération de Russie a organisées dans la péninsule de Crimée ", annexée " illégalement ", a prévenu, vendredi, Federica Mogherini, chef de la diplomatie européenne. L'UE, a-t-elle ajouté dans un communiqué, " demeure fermement attachée à la souveraineté et à l'intégrité territoriale de l'Ukraine ". Au cœur des tensions avec l'Occident depuis quatre ans, la Crimée russe reste isolée.
Isabelle Mandraud
© Le Monde

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