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dimanche 18 mars 2018

Pourquoi les hôpitaux parisiens craquent......Au CHU de Saint-Etienne, la parole se libère......


18 mars 2018

Pourquoi les hôpitaux parisiens craquent

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 Confrontée à un déficit de 200 millions d'euros et à un plan d'économies drastique, l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) est à bout de souffle
 Personnel soignant comme chefs de service dénoncent un manque constant de moyens, un découragement et une perte de sens
Le directeur de l'AP-HP, Martin Hirsch, reconnaît " un sentiment de lassitude et de souffrance ". Il appelle à une transformation profonde de l'hôpital
 Partout en France, les services d'urgence font face à une affluence inhabituelle. Sur 650 établissements, 97 ont activé le plan " Hôpital en tension "
 La parole se libère au CHU de Saint-Etienne après un rapport-choc sur l'accueil indigne des patients au pôle de psychiatrie
Pages 8-9
© Le Monde



18 mars 2018

Hôpital : malaise à l'AP-HP

Après des années d'économies, médecins et soignants sonnent l'alarme. Plongée au cœur du plus grand établissement français

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L'hôpital public, pour elle, c'est terminé. A la fin mars, après douze ans comme infirmière de bloc opératoire dans un hôpital de la banlieue parisienne de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), Agathe (tous les prénoms ont été modifiés) va raccrocher la blouse. A 43 ans, elle se dit " fatiguée " et " triste " d'avoir dû se résoudre à ce choix. Il y a huit ans, le service d'obstétrique où elle travaille effectuait 2 800  accouchements par an. Il en fait aujourd'hui 900 de plus, à effectif constant. " Ils ont fait de notre service une usine, raconte-t-elle. On nous presse, on nous stresse, on nous demande du rendement… La chef de service nous rappelle constamment que, si on ne fait pas tel chiffre d'activité, on nous réduira les postes… "
A quelques kilomètres de là, dans un établissement parisien de l'AP-HP, Pascale, une aide-soignante de 35 ans, songe, elle aussi, parfois, à démissionner. Elle dénonce l'évolution " négative et dangereuse " du métier qu'elle exerce depuis treize ans. " Pour payer mes études, j'avais bossé à McDo. Toute la journée, on entendait : “On y va ! On y va !” J'ai retrouvé ça au  bloc ces dernières années. On n'a plus le temps de discuter avec les patients angoissés avant une opération… "
Ce constat d'un hôpital " sous pression "" à flux tendu ", " rationné ", Agathe et Pascale sont loin d'être les seules à le faire parmi les 12 400 médecins et les 53 800 personnels soignants paramédicaux et socio-éducatifs qui font tourner les 39 établissements de l'AP-HP, le " navire amiral " de l'hôpital public en France. L'" AP ", c'est une institution, un morceau du patrimoine national, un concentré des atouts et des faiblesses de l'hôpital public – et donc un bon résumé de ses tensions actuelles. On y trouve aussi bien la Pitié-Salpêtrière que l'hôpital mastodonte Georges-Pompidou, le vieil Hôtel-Dieu, sur l'île de la Cité, ou Henri-Mondor à Créteil…
Dans cet archipel d'établissements, les syndicats étaient jusque-là bien souvent les seuls à  dénoncer – presque comme un bruit de fond devenu inaudible – le manque de moyens. Ils sont désormais rejoints par des médecins, des chefs de service ou de pôle. De nombreux témoignages recueillis par LeMonde font état d'un " ras-le-bol grandissant ", d'un " découragement " ou d'une " perte de sens " liée aux " injonctions contradictoires " des tutelles : réaliser toujours plus d'actes, avec toujours moins de moyens. " Les gens ne voient pas le bout du tunnel, ça craque de partout ", résume un bon connaisseur de la grande maison.
" On bâcle "Une infirmière raconte comment elle n'a souvent pas le temps " ni de boire ni de manger ni de faire pipi " lors de sa journée de travail, de 6 h 45 à 14 h 20. " On nous demande d'être plus rentables, plus efficaces, plus rapides ", explique-t-elle. " Quand vous avez deux heures dans un service de gériatrie pour faire manger dix patients, ce n'est pas possible, on bâcle. Pour les changer, on ne les nettoie pas correctement ", ajoute Marc, aide-soignant
Après une année où l'activité a été plus faible que prévu, l'annonce, le 6  mars, par Martin Hirsch, directeur général depuis quatre ans – ex-président d'Emmaüs France et ancien membre du gouvernement Fillon –, d'un nouveau plan d'économies en raison d'un déficit 2017 de plus de 200  millions d'euros (sur un budget de 7,5  milliards d'euros) a  accentué les inquiétudes. Pour les syndicats, le gel de 0,5  % de la masse salariale en  2018, c'est potentiellement 600  emplois menacés, via des congés ou des départs non remplacés, des CDD ou des intérimaires non renouvelés. Et donc une aggravation des tensions dans les services.
Chez les praticiens hospitaliers, qui avaient soutenu M. Hirsch dans sa réforme du temps de travail des infirmières et des aides-soignantes en  2015, la colère gronde. Même les hôpitaux et les services les plus prestigieux peinent aujourd'hui à obtenir le feu vert pour remplacer un médecin sur le départ. Dans son bureau de l'hôpital Necker, Noël Garabedian, le président de la commission médicale d'établissement centrale, la structure qui représente les médecins de l'AP-HP, hausse le ton : " On ne peut pas continuer comme ça, ce n'est pas tenable, la communauté médicale est vraiment inquiète. "
" Situation de crise majeure "Partout, une même crainte : aura-t-on l'an prochain les moyens d'assurer correctement ses missions ? " L'effort qu'on nous demande va rendre intolérables nos conditions de travail ", prévient Frédéric Adnet, le chef du service des urgences à Avicenne, à Bobigny, furieux que son pôle soit obligé de " rendre " de trois à cinq postes en  2018. " On est déjà sur la corde raide, je ne peux plus faire d'efforts. J'en suis à mon sixième plan d'efficience, et ça ne suffit jamais. Jamais il n'y a eu une année où l'on m'a dit de faire une pause. " " On a raclé les fonds de tiroir, on a mutualisé, on a réduit tout ce qu'on pouvait réduire, on a rendu plein de personnels, on est arrivé au bout de ce qu'on peut faire pour que ça marche encore ", abonde un praticien d'un prestigieux hôpital.
D'un établissement à l'autre, les témoignages convergent. " Nous sommes dans une situation de crise majeure ", assure Bertrand Godeau, chef du pôle médecine interne/urgences et coordonnateur d'un centre de référence maladies rares à l'hôpital Henri-Mondor, à Créteil. " Soit il y a une forte mobilisation, soit c'est la démotivation. Et ma crainte, c'est la démotivation et que les gens aillent travailler ailleurs. Nous ne faisons plus rêver. L'AP-HP est une vitrine qui commence à se lézarder aux yeux des étudiants et des internes, alors qu'avant c'était le Graal ", ajoute-t-il, rappelant que plus de cinquante chirurgiens ont quitté l'AP depuis cinq ans. "Si j'avais dix ans de moins et si j'étais chirurgien ou radiologue, je pense que je partirais dans le privé, avec des regrets mais sans hésitation. "
Face au déficit, aucune piste n'est écartée pour générer de nouvelles rentrées d'argent, avec notamment un objectif de " quasi-doublement " de la recette provenant de la facturation de chambres particulières entre 2017 et 2018. Aucun poste n'est épargné par les économies. " On gratte partout où on peut ", raconte un médecin. Ce sont des aides-soignantes à qui l'on annonce un jour qu'elles n'auront désormais plus droit qu'à un seul gant de toilette en papier par patient alité alors qu'il en faut au minimum trois. Ce sont des couvertures qui manquent, des chambres non repeintes ou mal chauffées, comme récemment à l'hôpital Beaujon, à Clichy (Hauts-de-Seine), où un médecin a relevé –puis médiatisé – une température de 17  °C dans une chambre hébergeant des malades en fin de vie. " Ce n'est pas quelque chose d'isolé ", souligneChristophe Trivalle, chef de service en gériatrie à l'hôpital Paul-Brousse, à Villejuif (Val-de-Marne). Dans son service, douze lits sont fermés depuis dix mois par manque de personnel. " C'est dur de faire des projets et de créer des nouvelles activités quand on n'arrive pas à faire tourner celles qui existent. C'est démotivant. "
Face à ces critiques, la direction du groupe met en avant toutes les transformations en cours, qu'il s'agisse de la prise de rendez-vous par Internet via Doctolib, du projet de nouvel hôpital à Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis) pour remplacer Bichat et Beaujon ou le transfert, d'ici à 2021, du prestigieux siège, en face de l'Hôtel de Ville, à l'hôpital Saint-Antoine. " En raison de sa taille, de son emplacement et de son histoire, l'AP-HP est confrontée de manière paroxystique à tous les enjeux de notre système de santé, mais elle va beaucoup mieux que ce qu'on dit d'elle ", assure François Crémieux, le directeur du groupe hôpitaux universitaires-Paris-Nord-Val-de-Seine.
Absentéisme en hausseLes syndicats, eux, dénoncent un climat délétère. A la CGT (majoritaire), on n'hésite pas à faire le lien entre cette situation et les cinq suicides de salariés depuis le début de l'année – dont un le 2  mars à l'Hôtel-Dieu. " C'est une période catastrophique ", assure Rose-May Rousseau, la secrétaire générale de l'USAP-CGT, qui décrit une " démobilisation générale ".
En  2017, l'AP-HP a connu une hausse globale de l'absentéisme de 1,1  % (avec une explosion de 11  % de l'absentéisme pour maladie ordinaire de plus de six jours et une baisse de 2,3  % de l'absentéisme de courte durée). En moyenne, le personnel a été absent 28,08  jours dans l'année. Des chiffres qui se situent dans la moyenne basse des CHU en France, relativise la direction. Dans les services, la réorganisation du temps de travail mise en place au forceps en  2016 représente toujours un fort sujet de mécontentement. Là où , jusque-là, beaucoup de salariés avaient organisé leur vie en travaillant le matin ou l'après-midi, ils sont désormais contraints, depuis septembre  2016, à alterner ces deux créneaux horaires.
Pour la direction, le bilan est bon : 234 000  jours de travail, soit l'équivalent de 1 114  temps plein de personnel non médical ont été récupérés sur 2016 et 2017. Pour les personnels, la pilule est amère. " Cela a généré une désorganisation de la vie privée, les gens sont épuisés ", rapporte Jean-Emmanuel Cabo, secrétaire général de FO AP-HP. En novembre  2017, le syndicat a collecté dans un " livre noir " des témoignages d'infirmières et d'aides-soignants. Un document qui a permis " de mesurer l'ampleur du désastre ", selon M. Cabo. Dans ces textes forts, parfois rédigés au nom de tout un service, les soignants dénoncent des cas " d'épuisement professionnel ", des situations de " sous-effectifs ", des plannings instables, une " multiplication par deux des frais de garde d'enfant ", des vies de couple et de famille menacées…
A la direction de l'AP-HP, on reconnaît que la généralisation de la rotation a  pu " générer des questionnements auprès des personnels et de l'encadrement ", mais on assure que " ni le turnover ni le taux de départ n'ont augmenté dans l'année qui a suivi la réforme par rapport à la période précédente ".
François Béguin
© Le Monde


18 mars 2018

Hirsch : " Il y a un sentiment qui va de la lassitude à la souffrance "

Pour le directeur général de l'AP-HP, la contrainte budgétaire ne sera supportable qu'avec des transformations profondes de l'hôpital

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Quelques jours après avoir annoncé que le déficit de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) serait supérieur à 200  millions d'euros pour 2017, Martin Hirsch, son directeur général, appelle à des " évolutions majeures " des modes de fonctionnement.


Que dites-vous aux médecins et aux personnels qui s'inquiètent d'une baisse des effectifs et d'une dégradation des conditions de travail ?

Après trois ans d'affilée de -réduction du déficit, l'année 2017 a été atypique, avec une activité stable et des dépenses que nous n'avons pas ajustées à temps. Le plan que nous mettons en placerepose d'abord sur des économies sur les médicaments auxquelles tous adhèrent, et sur un gel de 0,5  % de la masse salariale que tous redoutent. C'est dur, mais cela ne met pas en péril l'AP-HP ni la prise en charge des malades.
Pour que cela ne pèse pas là où les besoins sont les plus forts, nous organisons, avec les présidents de communauté médicale, une revue des services que nous aurions dû réorganiser plus tôt, pour le faire vite.


Y a-t-il un malaise chez les soignants ?

Incontestablement, et nous en avons conscience. Il traduit ce que j'appelle la " mue douloureuse " de l'hôpital, avec un sentiment qui va de la lassitude à la souffrance, mais qui ne remet pas en cause l'attachement au service public. Quand nous avons rédigé collectivement les valeurs de l'AP-HP en  2017, c'est ce qui ressortait : " Les valeurs, nous les avons, mais nous avons l'impression de ne pas pouvoir travailler en accord avec elles. "


Ce malaise est-il dû à la tarification à l'activité, qui pousse à faire plus d'actes pour maintenir l'équilibre financier ? L'hôpital est-il arrivé " au bout d'un système ", comme le dit la ministre de la santé ?

La tarification concentre toutes les critiques et le gouvernement a raison de la réformer. Chez nous, elle freine le développement de l'activité ambulatoire qui nous permettrait de réduire le nombre de lits et de faire des économies. Mais je pense qu'on s'expose à de graves désillusions si l'on estime que tous les problèmes découlent du mode de financement.Il y a d'autres rigidités, historiques, qui ne protègent ni les personnels ni les patients et qui relèvent de -notre responsabilité collective.


Vous avez fait part de votre souhait de voir émerger une nouvelle AP-HP…

La contrainte budgétaire ne sera supportable que si des transformations profondes se font. Le gouvernement a lancé des chantiers " pour en finir avec les rafistolages ". J'invite donc cette maison à dire le projet qu'elle veut porter. Un ensemble aussi grand doit-il continuer à être organisé comme les autres ? Ne peut-on pas garder les avantages de la taille sans ses lourdeurs ? De même que j'ai annoncé qu'on quittait le siège de l'AP-HP, je considère que nous ferions une erreur historique en ne proposant pas des évolutions majeures denos organisations et des cadres de travail des personnels.


En quoi cela répondrait-il au malaise des soignants ?

Il y a un malaise aussi quand on ferme à 15  heures certains appareils de radiothérapie, faute de manipulateurs radio pour l'après-midi. Quand les jeunes chefs de clinique me disent qu'ils ne veulent plus s'engager dans la même carrière que leurs aînés. Quand les infirmiers ne peuvent pas être reconnus en se voyant déléguer des tâches des médecins. Voilà les problèmes auxquels nous devons apporter des réponses nouvelles.
Propos recueillis par Fr. B.
© Le Monde


18 mars 2018

Les urgences confrontées à une surchauffe inhabituelle sur l'ensemble du territoire

Un dispositif exceptionnel a été activé dans 97 hôpitaux sur 650 pour répondre à un afflux de patients depuis le début mars. Faute de lits, beaucoup passent la nuit sur des brancards

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Confrontées à un afflux de patients âgés et à un manque de lits d'hospitalisation, les urgences explosent. Selon des chiffres fournis par le ministère de la santé vendredi 16  mars, 97 hôpitaux sur les 650 comportant une structure d'urgences avaient, au 13  mars, activé le plan " hôpital en tension ", un dispositif qui permet notamment de libérer des lits dans les différents services en reportant des opérations programmées. Une saturation inhabituelle à cette époque de l'année.
Depuis le début du mois, dans les services d'urgences adultes des établissements de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), le taux d'occupation est aussi en augmentation, selon l'heure de la journée, de 15 % à 25  % par rapport au taux moyen en  2016, soit " pratiquement le niveau observé au pic des épidémies hivernales ". Par comparaison, ces deux dernières années, le taux d'occupation en mars était proche du taux moyen annuel (soit + 5  % environ).
Un autre indicateur a également viré au rouge : le nombre de passages de personnes de plus de 75 ans dans les hôpitaux de l'AP-HP a enregistré ces sept derniers jours des hausses comprises entre 8  % et 20  % par rapport à la même période l'année dernière. Dans un prestigieux hôpital parisien, un médecin urgentiste explique avoir été ce mois-ci " en situation de crise permanente "" Nous n'avons plus de salle d'examen disponible et nous examinons donc les patients dans les couloirs ", raconte-t-il sous le couvert de l'anonymat.
Le phénomène touche toute la France. " On a l'impression de revivre la canicule de 2003, témoigne Pierre Mardegan, le responsable des urgences à l'hôpital de Montauban. Devoir hospitaliser entre 25 et 30 personnes âgées par jour, je n'ai jamais connu ça en vingt ans d'exercice. " Signe de la gravité de la crise, au centre hospitalier de Bourges, il a été expressément demandé aux habitants " de ne venir aux urgences qu'en cas de -nécessité absolue ".
" Ça craque de partout "A Strasbourg, les syndicats FO et CFTC ont dénoncé une situation " extrêmement critique " et ont lancé un appel à la grève à partir du 20  mars. " Depuis une semaine, c'est la catastrophe ", assure Mathias Wargon, le chef des urgences de l'hôpital Delafontaine, à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). " On ne prend pas de risque vital avec les patients, mais ce n'est pas de la bonne médecine ", regrette-t-il.
" Ça craque de partout, l'hôpital est en train de s'écrouler ", juge Christophe Prudhomme, porte-parole de l'association des médecins urgentistes de France et membre de la CGT. " Cette situation est le signe que le modèle hospitalier est au bout du bout et qu'il doit se réorganiser ", abonde François Braun, le président de Samu-Urgences de France. Pour mesurer l'ampleur du phénomène, son organisation a mis en place un dispositif de comptage quotidien – sur la base du volontariat – du nombre de personnes admises aux urgences ne trouvant pas de lits d'hospitalisation.
Le résultat est édifiant : entre le 10  janvier et le 9  mars, sur une centaine de services d'urgences (sur un total de 650), plus de 15 000 patients ont passé la nuit sur un brancard, faute de lit d'hospitalisation. " En extrapolant à tous les services, cela représente près de 100 000 patients en deux mois ", précise M. Braun. Cette surcharge" entraîne une augmentation de la mortalité de 9  % pour tous les patients et de 30  % pour les patients les plus graves ", affirme Samu-Urgences de France, dans un communiqué.
A quoi attribuer cette fréquentation inhabituelle ? La direction de l'AP-HP fait valoir que " ces derniers jours, l'épidémie de grippe saisonnière, marquée par une proportion plus importante de souche virale B, impacte davantage la population âgée, ce qui a entraîné une augmentation des hospitalisations pour pathologies respiratoires ".
L'hypothèse d'un effet grippe ne suffit pas aux urgentistes. " Le pic de l'épidémie était mi-janvier ", assure M. Braun. " On est en dehors de tout épisode épidémique, la situation n'est donc pas liée uniquement à cela ", complète M. Mardegan, à Montauban. Pour ces médecins, un tel degré d'engorgement est la conséquence d'une série de " dysfonctionnements ". Alors que la population est vieillissante et que les médecins de ville sont de moins en moins nombreux, ils font valoir que l'hôpital ne s'est pas réorganisé en conséquence et ne dispose pas de suffisamment de lits d'hospitalisation générale pour accueillir des personnes âgées polypathologiques.
Fr. B.
© Le Monde

18 mars 2018

Au CHU de Saint-Etienne, la parole se libère

Un rapport relevant l'accueil indigne des patients du pôle de psychiatrie a provoqué un choc

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On n'avait peut-être jamais autant parlé du CHU de Saint-Etienne. Le 1er mars, la publication d'un rapport du Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL), qui révélait l'indignité de la prise en charge des patients de psychiatrie aux urgences générales, a été relayée par les journaux, les radios, les télés. Après le choc, la parole a commencé à se libérer. Quant aux soignants, ils se sentent déconsidérés dans leur travail.
Malgré les mails envoyés par des cadres dès le 28 février pour inciter les personnels à ne pas parler aux journalistes, certains ont tenu à s'exprimer. Timidement, anonymement. " On a reçu plus d'informations par la presse qu'en interne ", déplore un infirmier, dont le blog remporte son petit succès . " Mon souci n'est pas de désavouer, mais d'expliquer ", observe celui qui est revenu dans un post sur les contentions -abusives aux urgences, l'usage disproportionné de l'isolement en psychiatrie, le manque de moyens humains.
Des mesures d'urgence ont été prises : aménagement de " salons d'apaisement " et de quelques lits supplémentaires, sas entre les -urgences générales et les urgences psychiatriques pour éviter la -relégation des patients dans les couloirs des premières. Autant de réponses dilatoires, selon lui.
" Pour nous, la publication du rapport a été un soulagement. On s'est dit : Ça y est, l'abcès est crevé. Ça va faire bouger les choses. " Pour ces trois infirmiers rencontrés au domicile de l'un d'eux, loin du CHU, les recommandations du CGLPL ont été perçues comme un " coup de pied dans la fourmilière ". Eux aussi trouvent " anormal et inadmissible qu'on fasse peser sur les patients un manque de moyens ". Sans vouloir incriminer " les personnels des urgences qui, faute de temps, ne peuvent guère faire autrement que d'utiliser parfois des liens de contention ", ils déplorent une " dénaturation du service public de santé "" On a l'impression que la gestion a pris le pas sur la qualité d'accueil des patients sans que l'ARS s'en inquiète. "
Personnels médicaux et paramédicaux, médecins, cadres, infirmiers, psychologues, assistants sociaux… à l'initiative des syndicats, un collectif a été créé le 27 février, qui s'est déjà réuni deux fois. Il entend faire des propositions à la direction pour pallier les dysfonctionnements pointés par les contrôleurs lors de leur visite du 8 au 15 janvier et réclamer à nouveau l'obtention de moyens supplémentaires à l'Agence régionale de santé. Les syndicats restent -cependant circonspects : " On ne parle pas le même langage ", notent des représentants CGT et FO. Depuis 2005, une logique financière prime. Priorité a été donnée au retour à l'équilibre budgétaire – en 2016, le CHU a affiché un excédent net consolidé de 7,5 millions d'euros. Les alertes multiples lancées par les syndicats sur la situation du pôle psychiatrie, l'embolie des urgences, les contentions abusives, n'ont guère été prises en considération, avancent-ils.
La situation s'est dégradée depuis la fermeture de l'hôpital psychiatrique de Saint-Jean-Bonnefonds transféré sur le site de l'hôpital Nord du CHU en 2004. La fermeture d'un service à l'hôpital Bellevue en 2017 n'a rien arrangé. La création d'une équipe mobile en soins ambulatoires est certes " louable ", disent les infirmiers, mais elle ne dispose pas d'" assez de moyens humains et logistiques ". La vétusté de certains bâtiments, l'institutionnalisation de la contention partielle ou totale, le déficit en médecins, tentés par le privé, toutes ces questions ont été soulevées lors d'une assemblée générale houleuse fin janvier devant le directeur général et le chef du pôle de psychiatrie. La grande majorité des 150 salariés présents a eu l'impression d'être traitée par le mépris." On nous a dit qu'on était des doctrino-populistes ", déplorent les infirmiers.
Etat de santé dégradéAprès la parution du rapport, une famille – tous les proches des malades tiennent à rester anonymes – a contacté Le Monde pour témoigner de mauvais traitements constatés ailleurs. Dans un service de l'unité neuro-psycho-gériatrique à l'hôpital de la Charité dans le centre de Saint-Etienne, composante du CHU, elle a trouvé des personnes âgées attachées dans des fauteuils dans la salle à manger ou entravées dans leur lit par des liens de contention pelvienne ou/et au pied, des boîtes de liens au-dessus des armoires ou stockées dans des placards. D'autres familles contactées au téléphone font le même constat : l'état de santé de leur proche s'est dégradé après l'admission dans des services de gériatrie. Autonomes physiquement à leur entrée, ils sont vite devenus dépendants.
" Est-ce que la personne est respectée dans sa dignité ? Est-ce une atteinte à ses libertés ? N'y a-t-il pas d'autres moyens à trouver plutôt que de choisir l'option contention systématique ? Parce que dans ces conditions, quiconque attaché pendant des heures, de jour comme de nuit, ne pourra que perdre sa dignité humaine ",dénonce la parente d'une personne qui a été hospitalisée dans cette unité et qui refuse cette fatalité.
Interrogée sur ces situations, Floriane Loctin, directrice de cabinet du directeur général du CHU, estime qu'il " ne faut pas tout mélanger. Le rapport du contrôleur général des lieux de privation de liberté porte uniquement sur le pôle de psychiatrie ".Elle indique qu'un groupe travaille depuis plusieurs années sur les questions de la bientraitance et de la maltraitance des personnes âgées, sur la contention, en relation avec des familles. Travaux qui ont donné lieu à des publications.
Le CHU n'a pas contesté les observations du CGLPL. Mme Loctin explique que " les problèmes soulevés avaient été repérés par l'institution depuis plusieurs années, les mesures prises pour y remédier n'ayant pas suffi dans une période de particulière densité en termes d'activité, comme ce fut le cas du 8 au 15 janvier ". Un plan d'action " énergique " a été mis en œuvre, une " enquête administrative et des audits diligentés ". Une réflexion sur un projet médical pour le pôle psychiatrique recommandée par le CGLPL et réclamée plusieurs fois en vain jusqu'à présent par le CHSCT va être engagée.
Vincent Charbonnier
© Le Monde


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