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dimanche 18 mars 2018

Double rupture en Allemagne


18 mars 2018

Double rupture en Allemagne

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Les six mois qui viennent de s'écouler marqueront durablement la vie politique allemande. Certes, le dénouement de la séquence ouverte avec les élections législatives du 24  septembre 2017 peut donner l'impression du contraire. Mercredi 14  mars, ce n'est pas seulement Angela Merkel qui a été réélue chancelière, mais aussi la coalition sortante qui a été reconduite, une première depuis l'accession au pouvoir de la présidente de l'Union chrétienne-démocrate (CDU), en  2005. Jusque-là, chaque nouveau mandat de Mme  Merkel s'était accompagné d'un changement de majorité. En  2009, après avoir gouverné quatre ans avec les sociaux-démocrates (SPD), la chancelière conservatrice s'était alliée aux libéraux (FDP). En  2013, le SPD était revenu au gouvernement. Cinq ans plus tard, après avoir hésité, il a choisi d'y rester. Même chancelière, même majorité : pour trouver pareille continuité entre deux législatures, il faut remonter à 2002, date de la réélection de Gerhard Schröder à la tête d'une coalition associant le SPD et les Verts.
Mais cette continuité a quelque chose de trompeur. Les six mois qui auront été nécessaires à Mme  Merkel pour constituer un gouvernement ne sont pas qu'une parenthèse. Pendant cette période, une double rupture s'est opérée dans la vie politique allemande. La première est l'entrée du parti d'extrême droite Alternative pour l'Allemagne (AfD) au Bundestag. Ses 92  députés (sur 709) constituent désormais le principal groupe parlementaire de l'opposition. C'est un tournant historique. Non que l'extrême droite ait complètement disparu du champ politique allemand après la seconde guerre mondiale, mais elle était résiduelle et dispersée. Instaurée en  1953, l'obligation pour un parti de recueillir au moins 5  % des voix pour être représenté au Bundestag a durablement tenu l'extrême droite à la porte de celui-ci. " Aucun parti démocratique ne peut exister à la droite de la CSU ", avait affirmé Franz-Josef Strauss, le chef de file historique des conservateurs bavarois, en  1986. Ce principe a volé en éclats.
La deuxième rupture est liée aux choix faits par les sociaux-démocrates et les libéraux après les élections. Dès le soir du scrutin, le SPD a annoncé qu'il rejoignait l'opposition. Près de deux mois plus tard, le FDP a rompu les pourparlers entamés avec les conservateurs et les écologistes afin de former une coalition. Jamais ces deux partis n'avaient pris de telles positions. Pour la première fois, le FDP a refusé de jouer le rôle qui était le sien depuis la guerre : servir de force d'appoint à la CDU-CSU ou au SPD pour constituer une majorité parlementaire. Quant au SPD, il n'avait jamais exclu a priori d'engager des discussions en vue de sceller une alliance.
morcellement croissant du champ partisanCes choix témoignent d'une évolution profonde de la culture politique allemande forgée au lendemain de la seconde guerre mondiale, fondée sur le culte du compromis. Les six mois qui viennent de s'écouler ont démontré que cette culture commune a considérablement reculé. Avec six partis représentés en son sein, le Bundestag issu des dernières législatives n'est pas seulement le plus fragmenté qu'ait connu l'Allemagne depuis 1953. C'est aussi celui où la formation d'une coalition s'est avérée la plus laborieuse et où la majorité est la plus fragile. Cette fois, les vieux réflexes ont pris le dessus. Après avoir promis le contraire, le SPD s'est finalement résigné à revenir au gouvernement. Mais il aura fallu pour cela l'intervention du président de la République en personne, deux congrès extraordinaires en l'espace de six semaines, puis un vote des adhérents, sans oublier, entre-temps, la démission précipitée du président du parti, Martin Schulz, dont l'autorité avait fini par être réduite à néant.
En  2013, Mme  Merkel avait été réélue avec 146  voix de plus que la majorité requise. Le 14  mars, elle ne l'a été qu'avec 9  voix de plus. Si la tendance observée aux dernières élections se confirme, à savoir un morcellement croissant du champ partisan, doublé d'un recul des deux formations ayant dominé la vie politique pendant un demi-siècle (CDU-CSU et SPD), il est possible que l'hypothèse d'une " grande coalition " ne soit plus envisageable. La première fois qu'ils ont gouverné ensemble, en  1966, conservateurs et sociaux-démocrates avaient rassemblé 86,9  % des voix aux législatives. Aujourd'hui, ils ne pèsent que 52,6  % des voix. Il suffirait que chacun perde un ou deux points la prochaine fois pour que leur alliance soit arithmétiquement impossible.
Or, dans une telle hypothèse, les majorités alternatives sont difficiles à envisager. Une coalition SPD-Verts-Die Linke (gauche radicale) ? Il faudrait que ces trois partis veuillent gouverner ensemble, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui, mais aussi qu'ils le puissent. Or, ils en sont loin : en  2017, ils n'ont rassemblé que 42,7  % des voix à eux trois. Une alliance de gauche étant peu probable à court terme, la CDU-CSU pourrait, une fois de plus, avoir la charge de former une majorité. Mais si cela ne peut plus se faire avec le SPD, avec qui d'autre ? L'AfD ? C'est pour l'instant totalement exclu. Les Verts ou le FDP ? Cela semble mathématiquement difficile. Les Verts et le FDP ? Il vient d'être montré que c'était politiquement hasardeux. En cela, la réélection de Mme  Merkel ne doit pas faire illusion. En un sens, tout continue comme avant. Mais le paysage politique sur lequel s'enracine ce quatrième mandat, lui, est totalement nouveau.
Thomas Wieder
© Le Monde

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