Translate

samedi 20 janvier 2018

Macron, leader esseulé de l'Europe


20 janvier 2018

Macron, leader esseulé de l'Europe

Le président français a besoin d'Angela Merkel, reçue à Paris vendredi, pour faire avancer ses réformes

agrandir la taille du texte
diminuer la taille du texte
imprimer cet article
France is back ", la France est de retour. C'est indéniable sur la scène internationale, cela l'est aussi au niveau européen, surtout depuis qu'Angela Merkel tente de sauver son poste. Après un sommet avec la première ministre britannique, Theresa May, la veille au sud de Londres, le président de la République, Emmanuel Macron, devait accueillir la chancelière -allemande à l'Elysée, vendredi 19  janvier, pour parler de " l'avenir de l'Union européenne ". Quand il s'agissait d'adopter des décisions importantes, en pleine crise grecque ou au plus fort des tensions sur la migration, tout le monde prenait l'avion pour Berlin…
Autre symbole : c'est depuis l'ambassade du Portugal à Paris que le Néerlandais Jerœn Dijsselblœm a passé le témoin à Mario Centeno, nouveau président de l'Eurogroupe, vendredi 12  janvier. " Un hasard de calendrier ", assure-t-on dans l'entourage du ministre portugais des finances. Mais un hasard très significatif. Tout comme la visite de Sebastian Kurz à Paris, le même jour. Le jeune chancelier autrichien, venu réitérer ses engagements prœuropéens alors qu'il a formé une coalition avec l'extrême droite, s'est aussi rendu à Berlin. Mais cinq jours plus tard.
L'Europe était au cœur du programme du candidat Macron, et il assume aujourd'hui cette responsabilité de nouvel " homme fort " d'une Union toujours divisée et ébranlée par le Brexit. Il a multiplié les interventions – à Athènes sur la démocratie européenne, à la Sorbonne pour formuler des dizaines de propositions de réformes – ou prôné une intégration plus poussée de la zone euro. " Macron est devenu influent par défaut ; il remplit le vide, mais cette position ne sera pas facile à maintenir s'il ne se trouve pas des alliés solides, analyse Sébastien Maillard, directeur de l'Institut Jacques Delors. Sa capacité à convaincre reste à démontrer, même s'il sait imposer son agenda. "
Infléchir l'agenda européen" Regardez notre époque, en face (…). Vous n'avez pas le choix ! ", lançait Emmanuel Macron, lyrique, depuis la Sorbonne " à tous les dirigeants d'Europe ". Le chef de l'Etat défendait une Europe " à plusieurs vitesses " permettant d'avancer à quelques-uns sans qu'elle soit paralysée par d'autres, tout en plaidant pour le réveil une Union " trop faible, trop lente, trop inefficace "" Au début, il nous a fait un peu peur, témoigne un diplomate bruxellois. On craignait qu'il accentue les divisions, avec l'Est notamment. Mais il est très important qu'il soit là, on avait vraiment besoin que le moteur franco-allemand redémarre. "
Au-delà des discours, M.  Macron a su infléchir l'agenda européen. Si les premières pages du préaccord de coalition en Allemagne sont consacrées à l'Europe, c'est parce qu'il a donné une impulsion décisive à l'idée de relancer la convergence – en panne – entre les économies de la monnaie unique. Ou au projet de les doter d'instruments de stabilisation budgétaire communs en cas de nouvelle crise. Des initiatives qu'il reste à négocier dans les détails avec Berlin et les autres capitales.
Fin octobre  2017, après un travail de lobbying intense et avec le soutien de la Commission Juncker, le président a réussi à convaincre des pays de l'Est – sauf quatre, dont la Pologne et la Hongrie – d'adopter une révision de la directive sur le travail détaché. Un accord doit encore être trouvé avec le Parlement européen, mais ce passage en force a constitué un premier succès très symbolique.
Ses appels répétés à la naissance d'un embryon de défense européenne ont aussi payé. Dans ce domaine, il a pu célébrer, en novembre  2017, le projet de " coopération structurée permanente ", qui devrait permettre de lancer des programmes communs d'armement, de combler une série de lacunes d'équipement ou de faciliter le lancement d'opérations extérieures. On est encore loin, cependant, des projets présidentiels – une force d'intervention et une doctrine militaire voire un budget communs.
M.  Macron a aussi défendu la création d'une taxe sur les géants d'Internet et une remise à plat de la politique commerciale de l'Union. Mais, là, les résistances sont fortes : le Luxembourg, l'Irlande ou les Pays-Bas freinent sur la fiscalité, soucieux de préserver leur modèle économique. La Suède et les Pays-Bas s'inquiètent aussi de sa demande d'une surveillance des investissements chinois dans l'UE et redoutent le retour de réflexes " protectionnistes ".
Les autres dirigeants ne sont donc pas tous prêts à suivre leur jeune collègue, mais ils l'écoutent avec attention. Son idée de " conventions démocratiques ", qui rassembleraient des représentants de la société civile, suscitait le scepticisme. Elle fait désormais des émules. La Belgique, le Luxembourg ou l'Irlande évoquent des initiatives au printemps. L'attribution à Paris du siège de l'Agence bancaire européenne, même si elle tient beaucoup du hasard (Dublin a perdu au tirage au sort), a aussi renforcé l'impression que la France et ses réseaux étaient à nouveau incontournables.
Theresa May marginaliséeEn réalité, Emmanuel Macron profite de l'effacement d'autres leadeurs européens, à commencer par Mme  Merkel, affaiblie par les élections de septembre 2017 et victime de l'usure du pouvoir après douze ans aux responsabilités. Son approche très " austéritaire " de la crise des dettes souveraines a été mise en cause dans le sud de la zone euro.
Le choix de M. Centeno pour présider l'Eurogroupe, le gouvernement officieux de l'eurozone, est symptomatique de ce rejet. Les positions en matière migratoire de la chancelière, à l'origine d'une controverse sur le dispositif de répartition des demandeurs d'asile au sein de l'UE, ont braqué la plupart des pays d'Europe centrale.
A Londres, la première ministre, Theresa May, est marginalisée en raison du Brexit. A Rome, le chef du gouvernement, Paolo Gentiloni, est confronté, en vue des législatives du 4  mars, au Mouvement 5 étoiles et au retour de la droite berlusconienne. A Madrid, Mariano Rajoy doit lutter pour préserver l'unité de l'Espagne face aux velléités indépendantistes de la Catalogne.
Depuis sa victoire sur la candidate du Front national Marine Le Pen, le chef de l'Etat français surfe sur la menace de l'extrême droite pour mieux promouvoir son slogan d'une " Europe qui protège "." Si l'extrême droite est là, c'est que nous avons échoué à répondre aux angoisses dont elle se nourrit ", lançait-il lors de sa récente rencontre avec M. Kurz. D'où son insistance sur la nécessité d'une politique " humaine mais ferme " dans le domaine de la migration – avec une ambiguïté quant au principe des quotas de réfugiés, défendu par Bruxelles et Berlin.
Ce retour de la France aux avant-postes sera-t-il durable ? M.  Macron aura-t-il, entre autres, la capacité de convaincre ses partenaires sur ses réformes de l'eurozone ? Si l'idée d'une capacité budgétaire spécifique fait son chemin, sa proposition d'un ministre des finances pour la zone euro est loin de faire l'unanimité et celle d'un Parlement spécifique à l'eurozone paraît enterrée.
Un autre test encore de l'influence française sera la capacité de M. Macron à peser sur les futures nominations des dirigeants de la Commission et du Conseil européens, en  2019. Le président n'a toujours pas choisi sa famille politique de rattachement au niveau européen, pourtant une nécessité pour avoir son mot à dire.
Rejoindra-t-il le groupe des Libéraux et démocrates ou lancera-t-il son propre En marche ! européen, en tentant de siphonner le Parti populaire (celui d'Angela Merkel) et le Parti social-démocrate ? Il pourrait compter sur le soutien des trois premiers ministres libéraux belge, néerlandais et luxembourgeois. Mais fera-t-il le poids si l'Italie bascule à droite ? Et saura-t-il résister à l'offensive des gouvernements populistes polonais et hongrois qui contestent les valeurs de la démocratie libérale sur lesquelles est fondée l'Union ?
Pour que son président soit totalement crédible, il faudra par ailleurs que la France affiche enfin, et durablement, un déficit public inférieur à 3  % de son PIB – c'est bien parti pour 2017, à confirmer pour 2018. Et si Mme Merkel échoue à former une nouvelle grande coalition avec les sociaux-démocrates, ce qui entraînerait de nouvelles élections, la fenêtre pour des réformes d'importance avant les européennes de mai  2019 se refermera.
Cécile Ducourtieux, Philippe Ricard (à paris), et Jean-Pierre Stroobants
© Le Monde

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire