Drôle de paradoxe. On pourrait attendre du Medef qu'il soit particulièrement coopératif avec Emmanuel Macron et le gouvernement d'Edouard Philippe, les aidant à faire passer leurs réformes. Après tout, le nouveau locataire de l'Elysée, ancien banquier chez Rothschild, connaît bien le monde des affaires, ses couloirs feutrés, ses revendications historiques. Ce n'est pourtant pas tout à fait la ligne qu'a décidé de tenir l'organisation patronale, dont le siège s'élève avenue Bosquet, dans le très chic 7e arrondissement de Paris.
Face à l'exécutif, le Medef vient de s'essayer à un nouveau genre – depuis le début du quinquennat : la contestation. En accord avec la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME), le mouvement présidé par Pierre Gattaz a annoncé l'
" ajournement "d'une séance de négociations prévue vendredi 19 janvier sur la formation professionnelle. Dans un courriel adressé mercredi soir aux autres protagonistes impliqués dans les discussions, il indique attendre des
" précisions " du gouvernement sur
" la nature des engagements " pris vis-à-vis des régions sur la réforme de l'apprentissage.
Un coup de pression en bonne et due forme.
" On a le sentiment que le gouvernement agit dans notre dos et passe de vieux deals à l'ancienne, explique-t-on dans l'entourage de M. Gattaz.
Nous avons besoin de savoir dans quel cadre nous négocions. Comme le gouvernement fait la sourde oreille, nous posons le stylo. "
" Relation schizophrénique "A quoi joue la première organisation patronale depuis quelque temps ? Car à y regarder de plus près, même quand les réformes lancées par l'exécutif vont dans son sens, elles semblent ne pas lui suffire. Le gouvernement a pourtant transformé de fond en comble l'impôt de solidarité sur la fortune pour en extraire les valeurs mobilières ; il a instauré une " flat tax " à 30 % sur les revenus du capital et promulgué des ordonnances flexibilisant le droit du travail comme jamais auparavant. Autant de dispositifs réclamés de longue date par les organisations d'employeurs. Et pourtant…
Engagé – avec l'ensemble des partenaires sociaux – dans la refonte de l'assurance-chômage depuis le 11 janvier, le Medef ne paraît pas disposé à donner satisfaction à M. Macron sur les mesures-clés de ce projet. Le gouvernement veut indemniser les indépendants ? Le mouvement patronal estime que lui et les syndicats n'ont pas à trancher la question, car cette population ne cotise pas à l'assurance-chômage, donc ce n'est pas un sujet relevant de discussions paritaires. Il est question d'accorder aux démissionnaires des allocations moins élevées par rapport aux autres demandeurs d'emploi ? Les émissaires de M. Gattaz n'y sont pas favorables – se rapprochant, sur ce point-là, de l'avis des organisations de salariés. Le président de la République entend instituer un système de bonus-malus sur les cotisations patronales afin de réduire le recours aux contrats courts ? Le Medef penche plutôt pour une négociation renvoyée aux branches.
Quant à la réforme du code du travail, il rechigne à y voir une victoire politique.
" On n'a rien obtenu dans les ordonnances, soutient un proche de M. Gattaz.
Mais, si la question, c'est de dire : “Ils ont gagné la première fois, ils peuvent perdre la seconde”,c'est non. Le donnant-donnant, c'est absurde. Ça fait quarante ans que l'on procède ainsi et ça nous conduit dans le mur. "
" Le Medef est dans une relation schizophrénique avec l'Etat : quand on regarde son programme ces dernières années, on se rend compte que bon nombre de ses demandes ont été finalement mises en place ", souligne un bon connaisseur du dialogue social. Et d'ajouter :
" Ils pleurent finalement beaucoup mais ne semblent pas avoir de la hauteur de vue, ce que Senard - le patron de Michelin qui n'a pas pu se présenter à la tête du Medef pour une question d'âge -
aurait pu apporter. Il aurait aussi pu apporter du prestige humain et redonner du lustre à une institution qui en a énormément perdu. "
Ce lustre perdu, beaucoup l'imputent à Pierre Gattaz et à ses prises de position abrasives. Pendant sa campagne pour prendre la tête du Medef, en 2013, celui-ci n'avait-il pas promu un
" Medef de combat " ? Récemment encore, sa stratégie au sujet des ordonnances était critiquée par Laurent Berger, le secrétaire général de la CFDT :
" Cette concertation a montré que le patronat a une vision passéiste du dialogue social et du syndicalisme, déclarait-il dans un entretien au
Monde en septembre 2017.
Il y a une sorte de malédiction française où l'on considère que le bien-être des salariés serait contradictoire avec la performance économique. Et une malédiction du dialogue social hexagonal où la vision de l'entreprise reste dogmatique. "
Poussée de fièvreUn avis partagé par d'autres acteurs.
" Le Medef était beaucoup plus dans la nuance et la coconstruction sous l'ère Parisot ", considère une source gouvernementale, qui en veut pour preuve la participation
" constructive " du mouvement à la réforme des retraites de 2010.
" Gattaz, lui, est dans la maladresse et la caricature en permanence ", complète-t-elle.
Cette crispation du Medef n'est cependant pas tout à fait surprenante. Elle survient au moment où le gouvernement présente le volet
" sécurisation " de ses réformes sociales : assorti de mesures contraignantes pour les entreprises, il fait évidemment froncer les sourcils de leurs représentants.
Lorsque la droite était au pouvoir, des tensions s'étaient déjà produites. Par exemple lors des négociations engagées en 2005 sur la prise en compte de la pénibilité dans certains secteurs : elles avaient duré des années sans donner aucun résultat – faute de volonté du côté des organisations d'employeurs. De même, quand le président de la République, Nicolas Sarkozy, avait voulu instaurer des règles sur le partage de la valeur ajoutée, son initiative avait compliqué le déroulement des discussions entre partenaires sociaux sur la modernisation du dialogue social.
Enfin, les inflexions de la communication gouvernementale au sujet de la réforme de l'apprentissage ont contribué à la soudaine poussée de fièvre de ces derniers jours. L'idée défendue au départ par l'exécutif consiste à libéraliser le dispositif et à en confier le pilotage aux branches professionnelles. A l'issue de la rencontre de lundi entre M. Philippe et l'association Régions de France, l'exécutif a donné l'impression au Medef et à la CPME de redonner un pouvoir de régulation important aux exécutifs régionaux, ce qui est jugé contraire à la philosophie originelle du projet.
" Il y a du flottement, dit un permanent patronal.
On a besoin de clarification. " A tel point que certains protagonistes se demandent si les éventuelles concessions faites aux collectivités locales par le premier ministre reflètent des désaccords entre Matignon et le ministère du travail, qui porte le dossier.
" Il n'y a pas de différence de vue ", assure-t-on dans l'entourage de M. Philippe.
Reste que, cette fois, l'équation est d'autant plus complexe que le Medef doit se trouver un nouveau président d'ici à juillet. En attendant, c'est toujours M. Gattaz qui est aux manettes.
Sarah Belouezzane, Raphaëlle Besse Desmoulières, et Bertrand Bissuel
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