Translate

samedi 20 janvier 2018

Erdogan prêt à envahir l'enclave d'Afrin

 
20 janvier 2018

Erdogan prêt à envahir l'enclave d'Afrin

Le président turc menace d'entrer en Syrie pour combattre le parti kurde syrien affilié au PKK

agrandir la taille du texte
diminuer la taille du texte
imprimer cet article
Voici des mois que le président turc, Recep Tayyip Erdogan, brûle de lancer son armée à l'assaut d'Afrin, l'enclave tenue par des Kurdes syriens du Parti de l'Union démocratique (PYD), dans le nord-ouest de la Syrie. Jeudi 18  janvier, l'offensive semblait imminente. Les télévisions ont montré les renforts en hommes, chars, véhicules blindés, massés dans la région du Hatay, le long de la frontière avec la Syrie. Des canons d'artillerie ont pilonné l'enclave sans relâche.
En découdre avec les Kurdes syriens du PYD ainsi qu'avec leur bras armé, les YPG (" unités de protection du peuple "), obsède Ankara, surtout depuis l'annonce américaine, le week-end dernier, d'un projet de soutien de long terme aux Forces démocratiques syriennes (FDS), une milice dominée par les YPG. Un projet inadmissible pour le gouvernement turc, qui dénonce les " terroristes " kurdes du PYD et des YPG pour leur affiliation au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), en guerre contre l'Etat turc depuis 1984. Devenues le fer de lance de la lutte contre les djihadistes de l'organisation Etat islamique en Syrie, les YPG ont été formées par des instructeurs militaires du PKK, venus de Kandil, la base arrière de l'organisation dans le nord de l'Irak, que l'aviation turque bombarde périodiquement.
" Amérique, Etat terroriste ", titrait le quotidien Yeni Akit jeudi. La presse tire à boulets rouges sur l'allié américain et préfère épargner le partenaire russe, qui tire pourtant les ficelles à Afrin. Ulcéré par le soutien américain aux YPG, déçu par la Russie qui bombarde ses alliés, les rebelles syriens opposés à Bachar Al-Assad dans la province d'Idlib, au sud d'Afrin, le président Erdogan est tenté de renverser la table en Syrie.
Jamais il n'a été aussi isolé. Sa rhétorique anti-PKK tombe à plat, sa frustration est double. Il n'a pas pu convaincre les Américains de retirer leur soutien aux Kurdes syriens du PYD. Sa demande de ne pas inclure ces mêmes Kurdes au " Congrès pour le dialogue national syrien ", la réunion préparée par Moscou les 29 et 30  janvier à Sotchi, le lieu de villégiature du président Vladimir Poutine, n'a pas été suivie d'effet. Lundi 15  janvier, le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov, a répété lors de saconférence annuelle que " les intérêts des Kurdes syriens doivent être pris en considération ".
" Nous avons besoin de le faire "Dans cette partie géopolitique, Damas a menacé jeudi d'abattre les avions turcs en cas d'intervention. Surtout, l'offensive turque s'avérant impossible sans l'aval de la Russie, maîtresse de l'espace aérien syrien, les deux responsables de " la sécurité nationale " turque, Hakan Fidan, le patron des services secrets, et Hulusi Akar, le chef d'état-major, ont été dépêchés à Moscou, jeudi matin, pour être reçus dans la journée par Valéri Guérassimov, le chef d'état-major russe, et Sergueï Choïgou, le ministre de la défense.
Le message était le suivant : si Moscou refuse d'ouvrir l'espace aérien au-dessus d'Afrin, les négociations d'Astana (Kazakhstan) parrainées par la Russie, la Turquie et l'Iran pourraient en rester là. Et si le PYD est invité à la table du " dialogue national syrien " à Sotchi, les Turcs n'en seront pas. Ankara croit au succès de sa démarche, misant sur le fait que les Russes tiennent au succès de la réunion de Sotchi, essentielle pour valoriser leur image de " faiseurs de paix ". Moscou " ne devrait pas s'opposer " à une incursion turque à Afrin, a déclaré jeudi Mevlüt Cavusoglu, le ministre turc des affaires étrangères.
En cas d'opposition, " nous allons le faire, nous avons besoin de le faire. Nous nous moquons pas mal de ce que les autres Etats en diront ", a expliqué le chef de la diplomatie turque dans une interview parue jeudi dans Hürriyet" Erdogan ne bluffe pas ", assure Abdurrahman Dilipak, l'éditorialiste vedette du quotidien progouvernemental Yeni Akit" Erdogan semble dire à Poutine, donne-moi Afrin et je te rends Idlib ", avance un diplomate à la retraite qui souhaite conserver l'anonymat.
Est-il possible d'agir sans l'accord de Moscou ? La plupart des experts assurent que non. La Russie est devenue un partenaire indispensable, car les missiles antiaériens russes S-400 acquis par Ankara pourraient être, à terme, positionnés autour du palais présidentiel et des édifices gouvernementaux, afin de parer à l'éventualité d'une nouvelle tentative de putsch.
Le " Reis " (chef) Erdogan est déjà en campagne pour sa réélection en vue de la présidentielle de novembre  2019. Des affiches trônent dans toutes les villes du pays, ornées de son portrait et de ce slogan : " Vous ne parviendrez pas à nous mettre à genoux. " Une posture qui pourrait contribuer à rétablir le charisme présidentiel, amoindri par une inflation à deux chiffres, préoccupante pour la population.
La presse d'opposition lui reproche sa politique étrangère, redoutant qu'elle n'affaiblisse la position du pays au sein de l'OTAN. Sa politique syrienne est critiquée. " Elle ne lui laisse pas d'autre choix - que l'intervention - . Sinon il restera le pion de Poutine. Sa relation envers Damas, l'exigence d'un changement de régime, tout était erroné. Les Russes et les Iraniens sont devenus les principaux joueurs. La Russie est trop heureuse de voir la Turquie s'éloigner de ses alliés traditionnels ", estime Kadri Gürsel, l'éditorialiste du quotidien d'opposition Cumhuriyet.
Marie Jégo
© Le Monde

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire