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dimanche 21 janvier 2018

Brigitte Bardot" Sans les animaux, je me serais suicidée "

21 janvier 2018

Brigitte Bardot" Sans les animaux, je me serais suicidée "

Je ne serais pas arrivée là si…" Le Monde " interroge une personnalité avec, pour point de départ, un moment décisif pour la suite de sa vie. Cette semaine, " BB " raconte le traumatisme de ses années cinéma, son antipathie pour le genre humain et le réconfort qu'elle a trouvé dans le combat de sa fondation

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Brigitte Bardot, 83 ans, publie le 25  janvierLarmes de combat, un livre " testamentaire "portant ses convictions pour la défense des animaux. Retirée dans sa maison de Saint-Tropez, mais toujours très active à la tête de sa fondation, qui emploie plus d'une centaine de salariés à Paris et mobilise des milliers de bénévoles, l'actrice la plus mythique du cinéma français s'est confiée au Mondesur ce qui fut le grand combat de sa vie.


Je ne serais pas arrivée là si…

Si je n'avais pas pris conscience de la souffrance qu'endurent les animaux sur terre, et n'avais pas brusquement arrêté le cinéma pour m'occuper d'eux. Fini la futilité et ce monde de faux-semblants qui m'avait rendue si malheureuse pendant toutes ces années. Stop ! Certains ont cru à un caprice, d'autres m'ont prise pour une cinglée. Je m'en foutais. Ma décision était irréversible. A 38 ans, j'ai tout quitté pour les animaux. C'est la plus belle décision de ma vie.


De quand date ce lien avec les animaux ?

Depuis toujours je pense. Je me sens " animal ". Et je rejette l'espèce humaine. Elle m'a toujours fait peur. C'est une espèce arrogan-te et sanguinaire qui m'a fait beaucoup de mal. J'étais toute petite lorsque j'ai vu le film Blanche-Neige, les yeux émerveillés, je crois que ce rêve n'a cessé de me porter. Vivre dans une petite maison, au milieu d'une multitude d'animaux… Au fond, c'est un peu ce que je fais.


Mais vous rappelez-vous d'un moment charnière ? D'un point de bascule dans votre deuxième vie ?

Oui. Le dernier film que j'ai tourné s'appelait L'Histoire très bonne et très joyeuse de Colinot Trousse-Chemise. L'action se passait au Moyen Age, il y avait des cavalcades, des duels sur la place d'un village. Et parmi les figurants, une vieille dame avec sa chèvre. J'allais les voir dès que j'avais une pause. Mais la dame me dit un jour : " J'espère que le film sera terminé dimanche. C'est la communion de mon petit-fils, on fera un grand méchoui avec la chèvre. " J'ai été horrifiée ! Et j'ai immédiatement acheté la chèvre. Je suis rentrée avec elle dans mon hôtel 4 étoiles. Ce fut le déclic. Adieu le cinéma.


Vous l'avez pourtant aimé…

Non ! Jamais ! Ce n'est que superficialité et frivolité. Tout y est faux. Les décors, les situations, les sentiments, et la plupart des gens. Sans parler de ce nombrilisme qui fait croire aux acteurs qu'ils sont le centre du monde ! Je déteste le culte de la personnalité. Il fallait que mon imprésario me botte le cul pour que j'aille aux premières de film et dans les cocktails. J'en avais horreur. La simple lecture d'un scénario m'angoissait, et pendant la vingtaine d'années où j'ai enchaîné les films, j'avais le ventre noué et je développais un herpès au début de chaque tournage. Avec toujours ce même sentiment de vacuité.


Vous avez tout de même eu de belles -rencontres et des moments de plaisir !

Bien sûr que la vie d'artiste m'a valu des moments intenses. Mais c'était dans le privé. Jamais dans " l'officiel ". On s'est tellement moqué de moi à mes débuts ! On a dit que j'étais une ravissante idiote, que je parlais mal, que je jouais comme un pied. Si vous saviez le mépris auquel j'ai été confrontée, parallèlement d'ailleurs à une adoration sans limite. Cela m'a blessée. C'était si injuste ! J'ai un principe de vie : quand on entreprend quelque chose, il faut le faire bien, et jusqu'au bout. Je l'ai appliqué au cinéma. Je n'ai rien fait en dilettante.


Avez-vous eu le sentiment de n'être pas reconnue à votre juste valeur ?

En effet. La reconnaissance n'est venue qu'après. Longtemps après ! Bien sûr, j'avais le statut de star : bien payée, célébrée sur les tapis rouges, dotée de belles voitures, de coiffeurs, de maquilleuses, tout le fourbi. Mais tout était fou et faux. Et je me suis pris pêle-mêle dans la figure mesquineries et gestes d'adoration sans mesure, mensonges, humiliations, salissures. C'était la contrepartie de la lumière qu'on braquait sur moi. Cette lumière que certains envient et qui a failli me tuer. Car je suis vite devenue une proie pour journalistes et paparazzi. Ils étaient partout, je n'avais plus de refuge. C'était une horreur. Et c'était effrayant. La traque. Avec ce que cela implique : le stress, l'angoisse, la dépendance aux somnifères. La perte de l'envie de vivre.


Vous citez souvent Mme de Staël…

" La gloire est le deuil éclatant du bonheur. " Oui, personne ne sait à quel point la célébrité est toxique et destructrice. C'est un poison. Combien de grandes actrices ont connu une fin tragique ? Lorsque j'ai quitté le cinéma, au printemps 1973, j'ai espéré trouver la paix. Impossible. Je ne peux toujours pas m'installer sur une terrasse, faire des courses ou déambuler sur le port. Il suffit qu'un connard se pointe avec un téléphone, et hop ! Photo ! Je ne le supporte plus. Du coup, je ne sors même plus au restaurant où Bernard, mon mari qui me comprend si bien, voudrait parfois m'emmener. Je ne veux pas voir les gens. Moi qui étais déjà d'une nature si timide…


Vraiment ? Même très jeune, vous -donniez l'impression d'être d'une assurance à toute épreuve…

J'ai pris sur moi pour m'imposer. Je préférais dominer qu'être dominée. Mais je n'ai jamais été sûre de moi. Jamais été certaine de plaire. Enfant, j'étais convaincue d'être très laide.


Mais les photos montrent une enfant -ravissante !

Non, je vous assure. A un moment, j'ai porté des lunettes, un appareil dentaire, une -coiffure ridicule, j'étais réellement disgracieuse. Je me souviens de m'être longuement examinée dans une glace, un jour, et de m'être dit : " Bon, moi qui rêvais d'être belle, c'est raté ; je suis moche, il vaut mieux que je l'accepte. " Ce sentiment m'a poursuivie toute ma vie.


Le regard de vos parents n'était-il pas -rassurant ?

Ah non ! Mes parents ne me donnaient pas confiance en moi. Je voyais qu'ils n'étaient pas fiers et j'avais un sentiment d'abandon, de solitude, souvent même de désespoir. Vous voulez une anecdote révélatrice du climat familial ? Un jour que je chahutais en riant avec ma sœur, nous avons fait tomber une potiche chinoise qui s'est brisée. Ma mère a été folle de rage. Elle a décrété qu'à partir de ce jour-là, nous devrions lui dire " vous " ainsi qu'à papa, car nous n'étions plus ses filles mais des étrangères. L'effet a été immédiat. Un doute terrifiant s'est emparé de moi. Je ne savais plus si j'étais chez moi. C'est ce qui explique que, dès que j'ai été plus grande, j'ai eu besoin d'acheter de vraies maisons, chaleureuses, bien à moi.


Une enfance pleine de doutes et de questionnements…

De doutes abyssaux et de questionnements sans fin. Je me rappelle avoir demandé un jour à papa qui m'accompagnait à l'école : " Pourquoi je vis ? " Il a répondu : " Pour faire mon bonheur ! " J'avais 10 ans, mais la question m'a hantée toute ma vie. Qui suis-je ? Quel est le sens de ma vie ? A une époque, je sais que j'ai symbolisé l'image de la frivolité. Mais je ne m'amusais pas. Le fond n'était que gravité. Ce sont les animaux qui m'ont sauvée.


Sauvée de quoi ?

Sans eux je me serais suicidée. Ma vie ne me plaisait pas. Ces mondanités auxquelles j'étais conviée m'apparaissaient grotesques et surtout inutiles. Dénuée de but, la vie est insupportable. Car elle est injuste et cruelle. La vouer aux animaux a tout changé. Eux ne m'ont jamais déçue. Ils donnent leur cœur et leur confiance sans jamais les reprendre. Ils ne possèdent rien d'autre que leur vie et être à leur contact oblige à se concentrer sur l'essentiel : l'amour. Ils m'ont soudain donné un but. J'étais là pour les défendre et pas pour -aller me faire bronzer sur un yacht ou une plage des Seychelles avec un milliardaire.


Ça va cinq minutes…

Même pas ! Ça va trois secondes quand on est jeune. Mais ça ne donne aucune raison de se tenir droite, aucun ressort pour affronter la vie. Non seulement les animaux ont donné un sens à ma vie, mais ils m'ont aussi permis de vieillir sereinement. Sans paniquer devant mes rides et ma dégradation physique. Je m'en fous ! Mes animaux me voient vieille, et ça ne les gêne pas !


Beaucoup d'actrices ont recours à la chirurgie pour stopper la course du temps…

Je trouve ça triste à mourir. Un visage, c'est toute une histoire. On peut se faire tirer tout ce qu'on veut, sauf le cœur et l'âme qui sont lestés du poids de notre vie. Un visage privé de ses rides est donc en total contraste avec ce qu'on porte à l'intérieur. L'ensemble sonne faux ! La jeunesse est belle parce qu'elle est vraie. La fausse jeunesse est hideuse.


Claquer la porte du cinéma ne vous -offrait pas une voie toute tracée dans la défense des bêtes. Comment avez-vous fait ?

Je ne savais pas comment m'y prendre ! J'ai commencé par faire des stages à la SPA, fréquenter des refuges, sauver un maximum d'animaux, profiter de ma notoriété pour dénoncer les scandales. Mais mon combat le plus symbolique a été celui pour les bébés phoques en  1977. Là, j'ai vraiment risqué ma vie. En toute conscience. J'avais même fait un testament, à 42 ans, tant affluaient les menaces de mort. Je me suis rendue au Canada en prenant un petit avion et un hélico. L'accueil a été odieux. J'ai été moquée, ridiculisée, insultée. Mais cette photo où je serre dans mes bras sur la banquise un petit blanchon, que les chasseurs cherchaient à dépecer vivant pour en extraire le pelage, a fait le tour du monde et ancré mon combat. Giscard a fait interdire l'importation de fourrures de blanchons en France. L'Union européenne a suivi, en  1983. Mais il m'a fallu me battre encore trente ans pour qu'un règlement européen interdise l'importation et le commerce des produits -issus des phoques. Ça valait le coup, non ? 350 000 vies sont épargnées chaque année !


Ce qui est incroyable, c'est que Marguerite Yourcenar vous avait écrit, neuf ans plus tôt, en vous demandant d'utiliser votre notoriété pour condamner ce massacre…

Et je ne le savais pas ! Sa lettre datée du 24  février 1968 ne m'était jamais parvenue ! N'est-ce pas inouï ?


Elle a donc cru que c'était elle qui vous avait incitée à aller sur la banquise…

Oui. Elle pensait même que j'avais mis du temps à réagir ! Mais j'ai une histoire merveilleuse avec Marguerite Yourcenar. Figurez-vous que lorsqu'elle a été élue à l'Académie française, en  1980, on lui a demandé qui elle aimerait rencontrer. " Brigitte Bardot ", a-t-elle répondu. Alors on m'a téléphoné à La Madrague : " Marguerite Yourcenar voudrait vous voir. " Je ne la connaissais pas, je me suis dit que c'était encore une de ces mondanités à la con que je fuyais, et j'ai décliné l'invitation à Paris. Et puis quelque temps après, un soir de tempête, tandis que je rentrais toute crottée de ma petite ferme vers La Madrague, entourée de mes chiens, mon gardien m'a appelée : " Il y a une dame, au portail, qui voudrait vous voir. " Une visite ? Sous cette pluie et alors qu'il fait nuit ? Qui est-ce ? " Elle a dit : Mme  Yourcenar. " Eh bien nous avons passé un moment extraordinaire ! Je l'ai fait entrer, aussi trempée et crottée que moi, on s'est réchauffées devant un bon feu de cheminée, avec un petit coup de champagne. Et on a parlé, parlé, parlé, comme si on se connaissait depuis toujours.


Avez-vous gardé un lien ?

Mais oui ! Nous avons entretenu une correspondance jusqu'à la fin de sa vie. Elle m'avait dit qu'elle m'enverrait des livres, en précisant : " Il y en a qui sont très barbants ! Mais je veillerai à vous en choisir de charmants que vous allez très bien comprendre. Surtout ne lisez pas Les Mémoires d'Hadrien. C'est trop compliqué, vous n'aimerez pas. " C'est vrai, les trucs trop intellectuels, ça m'ennuie, et elle l'admettait parfaitement. Elle m'a notamment envoyé Le Temps, ce grand sculpteur. Superbe.


Comment la Fondation Brigitte Bardot s'est-elle faite ?

J'ai d'abord eu une petite structure associative, très artisanale. Mais j'étais noyée dans la paperasserie administrative. Un ami m'a présenté Charles Pasqua, alors ministre de l'intérieur, qui m'a expliqué qu'une fondation avait une force de frappe bien supérieure. Encore fallait-il réunir un capital de 3  millions de francs, que je n'avais pas. J'ai donc organisé la vente aux enchères de tout ce que je possédais de valeur : les bijoux offerts par Gunter Sachs, les meubles provenant de mes parents, ma guitare et ma robe de mariée avec Vadim, la première Marianne à mon effigie… J'ai ainsi vu s'envoler des morceaux de vie et un peu de mon âme. Mais j'ai réuni mes 3  millions ! Et en  1988, naissait ma fondation, dont Liliane Sujanszky, qui avait quitté la SPA, a pris la direction. Puis, dans un deuxième temps, pour qu'elle soit reconnue d'utilité publique et puisse se porter partie civile dans tous les procès, j'ai donné La Madrague à la fondation. A ce moment-là, j'étais devenue guerrière !


En mission ?

Oui. C'est exactement ça : en mission. Une mission confiée par très haut. Par l'au-delà. Par une force, une puissance indéfinissable, qui confère un sens à nos vies. Ma première vie a été comme un brouillon, la deuxième est un accomplissement. Car je sais pourquoi je suis sur terre. Et pourquoi j'ai bénéficié d'une protection merveilleuse. Sans quoi je n'aurais jamais survécu à mes désespoirs ni à mes suicides. Il y avait un dessein. C'est assez mystique, hein ? Mais je le suis. Et je décris mon engagement comme un sacerdoce.


Avec l'idée de sacrifice ?

Oui. Car je donne tout. Mon énergie, ma santé, mon temps, ma vie. Aujourd'hui, elle ne vaut peut-être plus très cher, parce que je  suis vieille. Mais plus jeune, je l'aurais -offerte à ma cause sans aucun regret. C'est le choix d'un destin altruiste. On s'oublie to-talement. Les petits bobos du quotidien ou mes problèmes de hanche ne pèsent rien face à ce qu'endurent les animaux.


Pour vous, la cause animale est-elle une cause humaniste ?

Evidemment ! Sur terre, il y a des êtres animaux et des êtres humains. Le mot " être " vaut pour les deux catégories. Et les premiers méritent respect et compassion de la part des seconds. Ils ont une autre manière d'exprimer leur intelligence ou leur souffrance, mais ils sont aussi légitimes que les seconds. Au nom de quoi les humains, qui continuent de proliférer en se prenant pour Dieu, s'arrogeraient-ils le droit de vie ou de mort sur les  autres ? Le droit d'en faire leurs esclaves ou de les jeter comme des Kleenex ? Moi je place l'animal au même rang qu'un enfant, sans défense, sans paroles. Les secourir devrait être un devoir. Les martyriser est une abomination. Les chasseurs sont des lâches !


Vous avez souvent guerroyé contre eux…

Je les déteste. Un jour, au cours d'une battue près de ma maison, un sanglier passe devant chez moi et je lui ouvre le portail. Un chasseur me lance : " Je le veux, celui-là ! "Je réponds : " Non, il est chez moi. " Et je n'ouvre pas. Le type me dit : " J'ai deux cartouches. Ou vous me laissez rentrer, ou il y en a une pour vous et une pour lui. " Je dis : " Alors tirez ! " Mais j'ai aussi été menacée par des bouchers parce qu'à la télévision, j'avais imploré les gens de ne plus manger de viande de cheval et que la consommation avait baissé de 30  %. Je veux qu'on abolisse l'hippophagie avant ma mort ! Comme je veux qu'on interdise la chasse à courre, ce plaisir sadique pratiqué par des idiots friqués et une aristocratie décadente ! Hélas, les politiques ont un portefeuille et un fichier d'électeurs à la place du cœur.


Tous ? Vous ont-ils tous déçue ?

Tous ! Même Nicolas Hulot en qui j'avais mis tant d'espoir et dont la première décision de ministre a été d'autoriser l'abattage de 40 loups. Cela m'a plongée dans une détresse indicible… Je lui ai écrit en le traitant de tous les noms. Du coup, il m'a téléphoné un soir à La Madrague, m'expliquant qu'il n'avait pas eu le choix, que la décision avait été prise avant son arrivée, bla-bla. J'ai dit : " C'est dégueulasse Nicolas. On ne fait pas de compromis. On démissionne ! "


Récusez-vous cette étiquette de " frontiste " qui a entaché votre image ?

Je juge les politiques à l'aune de ce qu'ils proposent pour la cause animale. C'est aussi simple que ça. Et j'ai donc navigué. J'ai soutenu Giscard, qui a été super ; Chirac, puis Jospin contre Chirac, puis Sarko. J'ai eu un espoir insensé quand le Front national a fait des -propositions concrètes pour réduire la souffrance animale. Mais j'ai aussi sollicité Mélenchon en le félicitant d'être végétarien et d'avoir un projet contre les abattoirs. Si demain un communiste reprend les propositions de ma  fondation, j'applaudis et je vote. Mais je n'accorderai plus mon soutien à personne !


Vos propos fustigeant l'abattage rituel des animaux, notamment lors de la fête de l'Aïd-el-Kébir, vous ont valu plusieurs condamnations pour incitation à la haine raciale…

Je reste horrifiée par cette pratique ! Chaque année, quand le calendrier m'indique l'arrivée de l'Aïd et sa cohorte d'égorgements, je suis malade. Je ne supporte pas cette cruauté ni l'agonie des bêtes qui se débattent, épouvantées, en se vidant de leur sang. Ça n'a rien de raciste. Je me fiche bien de la religion ou de l'origine de ceux qui pratiquent cette barbarie. Je n'exige même pas l'interdiction du rituel religieux. Je demande simplement l'étourdissement préalable de l'animal, comme le permet l'électronarcose, afin qu'il ne souffre pas au moment de la saignée. Je l'ai expliqué en larmes, en  2004, au recteur et au grand mufti de la Mosquée de Paris. Ils en ont accepté le principe. Il ne restait plus qu'à légiférer. Sarkozy m'a alors fait mille promesses. Rien n'a bougé ! Notre pays laïque est l'un des derniers Etats européens à permettre l'égorgement rituel des animaux en toute conscience. C'est écœurant.


Votre fondation n'a cessé de croître et est désormais présente sur tous les terrains, au service d'une multitude d'espèces…

C'est ce dont je suis la plus fière. On mène des combats sur tous les continents. On porte la voix des animaux auprès des instances nationales et internationales. On tente de protéger les espèces, d'éviter des massacres. Et on continue de sauver le maximum d'animaux en France. J'ai même racheté un jour toutes les bêtes d'un zoo qui dépérissaient. Mais comment faire plus ? Pendant que nous parlons toutes les deux, des millions d'animaux sont égorgés dans les abattoirs de France. Trois millions par jour ! Vous entendez ? Et je ne vous parle pas des trafics opérés par les animaleries, du gazage des volailles ou du gavage des oies. Le foie gras est une maladie dont les cons se régalent ! Alors je continue de me battre et de m'exprimer avec mes tripes. Ma célébrité m'a ouvert des portes. Mais elle ne suffit pas. Voyez, j'ai échoué dans la plupart des grands combats.


Les disparitions successives de Jeanne Moreau et de Mireille Darc vous ont, je  crois, beaucoup marquée…

Ce fut un choc. Je les estimais toutes les deux, et, franchement, elles avaient une au-tre envergure que les actrices actuelles –  les pauvres chéries – que je trouve moches, mal coiffées, mal habillées, sans aucune élégance, et qui ne font pas rêver. Heureusement qu'il reste Catherine Deneuve, toujours magnifique. Dommage qu'elle porte de la fourrure ! Pour moi, cela équivaut à porter un charnier sur les épaules.


Vous sentez-vous solidaire de toutes ces actrices qui, de Meryl Streep à Angelina Jolie, ont décidé de dénoncer les violences et la goujaterie du monde du cinéma ?

Mae West disait : " Je suis perdue de réputation et je m'en fiche éperdument depuis toujours. " Je trouve, moi, que les actrices d'Hollywood sont aujourd'hui, en grande partie, des hypocrites ! Leur seul mérite, c'est d'avoir éveillé les consciences. Car il est inadmissible que tant de femmes subissent les violences de vrais salopards. Me concernant, laissez-moi citer une nouvelle fois Mme de Staël : " Plus je connais les hommes, plus j'aime les chiens. "


Vous conservez une amitié avec Delon…

Alain, c'est un animal. Sauvage et solitaire. Notre amitié est tardive, mais puissante. On se comprend au moindre mot. Il est en homme ce que je suis en femme. Je lui ai dit récemment : on est les deux derniers mo-numents historiques du XXe  siècle encore -vivants ! Et c'est vrai que nous incarnons le -cinéma qui a fait rêver des générations. Mais c'est fini. Il n'y a pas de nouveau Delon parmi les nouveaux acteurs français. Barbus, chauves, mal fringués… On se demande où sont passés les gènes de la beauté !


Nous n'avons pas évoqué vos amours…

Je n'ai vécu que par amour.


Mais aucun n'a pu vous rendre heureuse…

Sauf celui des animaux. Avant, j'ai butiné car je cherchais toujours plus intense, plus absolu. Je cherchais l'extraordinaire. Le tiède ne m'intéresse pas.


Mais vous avez aimé…

Sami Frey, Jean-Louis Trintignant… Et Gainsbourg, bien sûr.


N'aspiriez-vous pas à la maternité ?

Je ne voulais pas donner naissance à un être humain supplémentaire. J'estime qu'il y en a trop sur terre. Et ils me font peur.


Pourtant, vous avez donné naissance à un petit garçon en  1960…

Oui, dans des circonstances cauchemardesques. Traquée par des hordes de paparazzi qui encerclaient mon domicile et ont gâché irrémédiablement ce moment. Ce fut un traumatisme. J'étais trop jeune, trop épiée, trop instable, totalement à la dérive, affolée par la vie. Affolée… Je ne pouvais pas m'occuper de ce petit être.


Avez-vous néanmoins réussi à nouer un  lien avec lui ?

Nicolas a aujourd'hui 57 ans et il est merveilleux. Il s'est forgé tout seul une vie, en Norvège, et il a réussi. Il adore les enfants, s'occupe énormément de sa famille, et de moi aussi par la même occasion. Je me sens même un peu la fille de mon fils, alors que je  suis arrière-grand-mère ! Mais à l'époque, comment vous dire, je ne savais pas faire. J'avais peur des bébés. Je n'avais pas…


L'instinct maternel ?

Oui. Je crois aujourd'hui que cela s'apprend. Mais à l'époque, ce fut une douleur. Je  ne le ressentais pas et je ne comprenais pas pourquoi, alors que je l'avais avec les animaux. Je me suis fait ramasser pour avoir osé l'avouer.


Comment voyez-vous l'avenir de votre fondation ?

Elle perdurera ! Le combat insufflé est tellement supérieur à ma vie ! J'ai pris des dispositions pour que la place que j'ai occupée soit reprise avec intelligence, puissance et compassion. Laurence Parisot - présidente du Medef de 2005 à 2013 - a, je pense, toutes ces qualités. Il faut encore qu'elle fasse ses preuves. Quant à La Madrague, elle deviendra un musée. Moyennant 2 ou 3  euros, qui alimenteront les caisses de la fondation, le public pourra visiter ma maison qui sera laissée dans son jus. J'assume le côté " lieu de  pèlerinage ". Car je serai enterrée dans le jardin. J'ai choisi un petit coin, proche de la mer, qui a été entériné par les autorités.


Cela vous rassure-t-il ?

Je ne suis pas pressée ! Mais je préfère reposer là plutôt que dans le cimetière de Saint-Tropez où une foule de connards risqueraient d'abîmer la tombe de mes parents et de mes grands-parents. Je veux qu'on leur foute la paix !


Dans " Larmes de combat ", que vous -dites être votre dernier livre, vous écrivez : " Ma mort donnera un sens à ma vie "…

Vous savez bien que c'est à sa mort qu'on reconnaît l'importance d'un personnage. Regardez Johnny Hallyday ! Je crois donc que ce n'est qu'à ma mort, hélas, qu'on reconnaîtra que j'ai été une pionnière. Et qu'en abandonnant son statut de star internationale pour les  animaux, la Française la plus connue du monde a mené, de tout son cœur, de toutes ses forces, un extraordinaire combat.
Propos recueillis par Annick Cojean
© Le Monde

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