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lundi 16 octobre 2017

La France comme entreprise

16 octobre 2017
Laurent Joffrin
La lettre politique
de Laurent Joffrin

La France comme entreprise

Un président manager. Au fond, c’est le portrait le plus net qui ressort del’intervention télévisée d’Emmanuel Macron. Un manager cultivé, sensible à l’histoire, maniant une langue sûre, ce qui tranche avec le sabir entrepreneurial qui prévaut dans tant de cercles dirigeants et au sein du parti En marche. Mais un manager tout de même. C’est-à-dire quelqu’un de volontaire, de pragmatique, et même de sensible à la dimension humaine de l’entreprise, ne serait-ce que pour motiver «les équipes». Mais aussi quelqu’un qui adhère sans mélange aux valeurs – ou aux duretés – de la concurrence, de l’évaluation, de la hiérarchie (au nom de l’efficacité) et de la propriété. Impossible d’interpréter autrement l’éloge obsessionnel de la réussite individuelle qui a tissé le discours présidentiel. Spontanément, viscéralement, Emmanuel Macron est un libéral. Il croit à l’individu libre, à la compétition de tous contre tous, à la créativité intrinsèque du secteur privé, à la pataude inefficacité des structures collectives et des corps intermédiaires.
Dans cette philosophie, l’inégalité n’est pas un problème mais un atout. Elle récompense le mérite des «premiers de cordée». Elle motive les dirigeants et les investisseurs, à qui «il ne faut pas jeter des pierres», c’est-à-dire les soumettre à des impôts excessifs qui nous transporteraient à «Cuba, sans le soleil». Elle est donc le moteur du progrès. Pour autant, Macron n’est pas«ultralibéral», comme on l’entend parfois dans la gauche radicale. Il admet les correctifs destinés à humaniser le marché : Etat-providence (qu’il faut convertir à l’efficacité et aux économies), formation pour tous (qui promeut l’égalité des chances), filet de sécurité pour ceux «qui ne sont rien», les«illettrés», voire les «fainéants» et qu’on ne peut pas laisser crever. Fillon, pendant la campagne électorale, se rapprochait bien plus du modèle libéral extrême, en programmant réduction à la hache des dépenses publiques et abaissement de tous les impôts, c’est-à-dire recul historique du service public. En regard, Macron est un modéré.
Mais il n’a rien, en fait, d’un social-démocrate. Dans la «cordée» dont il parle, les intérêts sont confondus. Si le premier trébuche, tous tombent. Or la métaphore ne vaut pas. Les salariés sont souvent solidaires de l’entreprise quand elle va mal : ils risquent leur emploi. Mais dès qu’elle prospère, le partage du revenu oppose des intérêts contradictoires. La social-démocratie est un compromis entre parties antagoniques, non l’abolition des conflits. Aussi bien, tout social-démocrate vise à réduire les inégalités, qu’il juge injustes et excessives. Hollande, quoi qu’on dise, a œuvré dans ce but. La politique Macron ne s’en soucie pas. Ou plutôt, le président voit dans l’inégalité la condition du plein-emploi et le moyen, grâce à l’efficacité obtenue, de financer l’éducation et le filet de sécurité minimal. En leur temps, Blair, Schröder, Clinton ont joué cette carte, qui se distingue clairement du libéralisme canonique des Bush, Cameron ou Schäuble, mais rompt avec la social-démocratie. Macron marche dans leurs pas. Il est fort possible, grâce au retour de la croissance, qu’il obtienne des résultats. Mais ils se paieront, immanquablement, d’un accroissement des inégalités. Or seuls les vrais libéraux pensent qu’elles sont justes.

Et aussi

• La France insoumise a décidément d’étranges porte-parole. On découvre ainsi que Danièle Obono, députée LFI de Paris, «a pleuré» toutes les fois où «des camarades ont défendu les caricatures racistes de Charlie Hebdo» et quand «l’Etat s’est attaqué à Dieudonné, [et qu’ils] ont appelé à sa censure». Le tout dans la même phrase, écrite il y a deux ans sur son blog (c’est-à-dire après les assassinats qui ont frappé la rédaction deCharlie). Ainsi Charlie Hebdo, qui se moque de toutes les religions, est«raciste», alors que Dieudonné, qui nie la Shoah et fait de cette négation un fonds de commerce (il a même invité sur scène Faurisson, négationniste maintes fois condamné), est une victime de la censure. Vision incohérente et strictement communautaire, qui consiste à juger insupportable et «raciste»la satire de l’islam et défendable la négation de l’holocauste. Le communautarisme est aussi une maladie de l’esprit.
• Emmanuel Macron un peu flou sur la PMA… Le président a réitéré son approbation de l’ouverture de la procréation médicalement assistée à toutes les femmes. Mais il a aussi exprimé sa volonté de «ne pas heurter les consciences». Drôle d’expression : si l’on n’avait pas «heurté les consciences», on n’aurait pas légalisé le divorce, l’IVG, le mariage pour tous… Voilà qui n’est pas de bon augure.
LAURENT JOFFRIN
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