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mercredi 20 septembre 2017

Mélenchon reprend la Bastille


le 20 septembre 2017


         Mélenchon reprend la Bastille


 C'est un mérite qu'il faut lui reconnaître : Jean-Luc Mélenchon est un homme de fidélités. Aux symboles, aux maîtres qu'il s'est choisis et à lui-même. Le 18  mars 2012, c'est place de la Bastille qu'il avait bâti le socle de sa première campagne présidentielle en mobilisant toutes les tribus de la gauche radicale, communiste, altermondialiste, trotskiste en rupture de ban ou " noniste " en déshérence depuis le référendum européen de 2005.
Cinq semaines plus tard, il recueillait 11,1  % des suffrages. Le 18  mars 2017, c'est toujours à la Bastille qu'il rassemblait, pour une marche vers la place de la République, plusieurs dizaines de milliers de partisans de La France insoumise (LFI). L'élan était donné à la vague qui allait le porter, le 23  avril, jusqu'à 19,6  % des suffrages… si proche de la qualification pour le second tour.
C'est donc à la Bastille qu'il a appelé " le peuple " à " déferler ", samedi 23  septembre, pour s'opposer au " coup d'Etat social " que constituent, à ses yeux, les ordonnances du gouvernement réformant le droit du travail – et pour engager, plus largement, le combat frontal avec le système néolibéral dont Emmanuel Macron serait la " créature ". Nul besoin d'attendre un prochain 18  mars, c'est maintenant qu'il faut battre le fer.
Car c'est l'une des leçons que Jean-Luc Mélenchon a retenues de celui qu'il présente comme un " maître à penser " et dont il revendique volontiers l'héritage : l'on a nommé François Mitterrand. Expert en la matière, ce dernier avait édicté une règle simple : " L'opposition est faite pour s'opposer ", sans concession, sans faiblesse et si possible avec talent. Le chef des " insoumis " s'est donc posé d'emblée en leader de l'opposition, d'autant plus aisément que la place était vacante.
Fidèle... à lui-mêmeNi le Front national en pleine dépression, ni la droite des Républicains en pleine compétition présidentielle interne, ni les socialistes assommés par leur déroute du printemps n'étant en mesure de lui contester ce rôle, il charge donc, verbe haut et dialectique en bandoulière, à l'Assemblée nationale comme dans la rue.
Mais le parallèle avec le chef des socialistes et de l'Union de la gauche des années 1970 ne s'arrête pas là, comme en témoigne le long et très intéressant entretien que Mélenchon vient d'accorder à Marianne. Juge-t-on ses attaques trop tranchées, trop violentes ? François Mitterrand aussi " était très clivant, et il a fini par gagner ",rappelle-t-il du tac au tac. Le système cherche-t-il à faire peur en brandissant l'épouvantail Mélenchon ? " Sans doute ", répond l'intéressé avant de renvoyer à un discours où Mitterrand faisait la liste des injures que ses adversaires lui adressaient, pour mieux justifier la vigueur de ses ripostes.
Nul doute, enfin, que la redoutable habileté dont Mitterrand fit preuve pour prendre définitivement l'ascendant sur le Parti communiste inspire directement l'" insoumis " en chef – toutes proportions gardées cependant, car le PCF était, à l'époque, une force puissante, alors qu'il lutte depuis un bon moment pour sa survie.
Comme Mitterrand, Mélenchon a commencé par passer un accord avec les communistes pour être le candidat du défunt Front de gauche en  2012. Comme lui, il s'est ensuite affranchi de cette laborieuse et encombrante alliance pour se présenter, cette année, sous sa seule bannière. Comme lui enfin, il cingle " une direction communiste en perdition " (samedi  16 et dimanche 17  septembre, depuis La Réunion, en réponse aux griefs du secrétaire général du PCF, Pierre Laurent, à la Fête deL'Humanité), pour mieux cajoler ses militants et les convier à la Bastille. Le socialiste de 1981, déjà, fustigeait les -dirigeants communistes qui croyaient " possible d'arrêter le mouvement de l'Histoire " pour mieux inviter leurs troupes à rejoindre le " vaste rassemblement populaire " qu'il entendait réaliser.
La filiation s'arrête là. Car c'est au bout du compte à lui-même que Jean-Luc Mélenchon est le plus fidèle depuis qu'il a décidé, en  2008, de quitter le Parti socialiste avec l'ambition de rassembler " le peuple " contre " l'oligarchie ". Bien loin d'une refondation de la gauche sur le modèle mitterrandien, LFI est une entreprise d'absorption et de liquidation.
Déjà, ce qui restait de l'électorat communiste a été phagocyté lors de la présidentielle, nonobstant un ultime sursaut du PCF aux législatives. De même, bon nombre d'écologistes, désabusés par leurs querelles intestines, ne sont pas insensibles à la promesse mélenchonienne d'un développement en " harmonie avec les cycles de la nature ". Quant aux socialistes, étrillés au printemps et " nécrosés pour longtemps ",Mélenchon n'entend pas " les affaiblir, mais les remplacer ", selon sa formule sans pitié au moment des élections législatives de juin.
Et après, que faire ? La réponse de Jean-Luc Mélenchon à Marianne mérite d'être citée, tant elle témoigne de son talent à prendre son désir pour la réalité future : " Nous voulons être le recours contre le chaos libéral. Notre thèse de départ, c'est qu'il n'existe pas de base sociale pour la politique ultralibérale de Macron. Si nous parvenons à en faire la démonstration, il faudra qu'il retourne devant le pays. Si notre stratégie fonctionne, on contraindra le pouvoir à devoir choisir, dans des délais beaucoup plus courts que prévu, entre une logique d'affrontement total avec le peuple, ou l'obligation de redonner la parole au peuple. "
A charge, alors, pour LFI de " proposer une alternative globale au monde actuel ". Comme le confiait François Mitterrand lorsque l'intéressé était un jeune socialiste prometteur : " Jean-Luc Mélenchon est l'un des plus doués. Il ira loin… à condition que sa propre éloquence ne l'enivre pas. " Le jugement garde, à l'évidence, toute sa pertinence.
par Gérard Courtois
© Le Monde

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