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samedi 19 août 2017

Les Crises.fr - Selon un rapport du gouvernement, la DEA a menti au Congrès au sujet d’un raid mortel qui a tué quatre Honduriens

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19
Août
2017

Selon un rapport du gouvernement, la DEA a menti au Congrès au sujet d’un raid mortel qui a tué quatre Honduriens


Source : Mattathias Schwartz, The Intercept, 24-05-2017

Photo: Rodrigo Abd/AP
La Drug Enforcement Administration a menti à plusieurs reprises au Congrès au sujet d’incidents avec tirs mortels au Honduras, dont le meurtre de quatre civils durant une opération menée par la DEA, selon un rapport dévastateur de 424 pages publié ce jour par les inspecteurs généraux des départements d’État et de la Justice. Le rapport décrit comment la DEA a omis de transmettre des informations à l’ambassadeur américain au Honduras, a fait passer des informations erronées dans la chaîne de commandement, a présenté de façon répétée une image fausse du rôle des Américains présentés comme des conseillers dans ce qui était en fait une opération menée par les États-Unis, a recruté un informateur pour appuyer sa version des faits, puis s’en est tenue au récit de l’informateur malgré ses « dires inconsistants et contradictoires ». La DEA a dit avoir fait passer un test polygraphique à l’informateur, mais le rapport conclut que le test était inconsistant et « largement inutile ».
Surtout, le rapport affirme que la DEA a faussement qualifié la mort de quatre Honduriens comme résultant d’un échange de tirs avec des trafiquants de drogue malgré la preuve sur vidéo que les forces menées par la DEA avaient tiré sur quatre civils. Les victimes voyageaient sur une embarcation transportant des passagers vers une ville appelée Ahuas, sur la lointaine Mosquito Coast. Presque tout de suite, le maire de Ahuas et d’autres fonctionnaires honduriens ont protesté, disant que les victimes étaient innocentes ; la DEA a maintenu que ses forces avaient essuyé des tirs de la part de trafiquants de drogue. Aujourd’hui, plus de cinq ans plus tard, le rapport confirme que les gens de Ahuas disaient la vérité. Il n’y a pas eu d’échanges de tirs. C’est un agent de la DEA qui a ordonné à un tireur héliporté de faire feu sur le bateau transportant des passagers. Les quatre Honduriens morts – Emerson Martinez, Candearia Trapp, Hasked Brooks Wood, et Juana Jackson – ne représentaient aucune menace. La DEA a donné une description grossièrement inexacte de ses propres opérations au Congrès et a laissé non corrigée cette description.

La sanction de ce comportement du personnel de la DEA, impliqué dans le massacre de Ahuas et les fausses déclarations ultérieures, n’est pas encore certaine. Les inspecteurs généraux ne recommandent pas de poursuivre des membres du personnel de l’agence pour entrave à la justice ou d’autres infractions. Au contraire, ils ont conseillé à la DEA d’améliorer ses procédures internes d’examen des fusillades.
« Les victimes de ce crime attendent encore justice », clame Karen Spring, du Réseau de Solidarité du Honduras, dans une déclaration. « Il n’y a eu aucun remède pour les blessures physiques et affectives des victimes, ou pour l’épreuve sociale et économique subie par les victimes et leurs familles. »
De nombreux éléments du rapport suggèrent que la DEA a falsifié son rapport post-fusillade, et qu’elle a appliqué une tactique de contre terrorisme agressive et parfois fatale pour ce qui était une opération de maintien de l’ordre. Au mieux, l’agence a commis un cas grave de biais de confirmation. « Bien que la DEA ait eu à sa disposition des informations qui entraient en conflit avec son rapport initial « explique le rapport », y compris le fait qu’un bateau portant des passagers était peut-être un bateau-taxi transportant des occupants pour des voyages nocturnes, les représentants de la DEA sont resté inébranlables – avec peu de preuves crédibles : tous les individus touchés par les honduriens étaient des trafiquants de drogue qui tentaient de récupérer la cocaïne… Ce refus de prendre en considération des preuves pertinentes a eu plusieurs conséquences négatives. »

Une vue aérienne de la région de Mosquitia, près de la communauté reculée de Ahuas, Honduras, lundi 21 mai, 2012. Le vendredi 11 mai, un raid conjoint américano-hondurien anti-drogue, dans un hélicoptère avec des conseillers venant de la DEA, semble avoir par erreur visé des civils dans cette jungle reculée, tuant quatre passagers du bateau et en blessant quatre autres. Plus tard, d’après des habitants, des forces de la police anti-stupéfiants hondurienne et des hommes parlant anglais ont passé des heures à fouiller la petite ville de Ahuas à la recherche d’un possible trafiquant de drogue. Photo : Rodrigo Abd/AP
« Ce rapport n’est rien moins qu’une accusation massive contre la DEA et la police hondurienne », proteste le sénateur démocrate Patrick Leahy, dans une déclaration. « La DEA, le Honduras et les représentants du Département d’État ont fourni au Congrès des informations incomplètes, imprécises et trompeuses dans le but de perpétuer une histoire avantageuse qui était fondamentalement biaisée et rabaissait la vie des victimes et la réputation des États-Unis. »
Leahy a interpellé la DEA et le département d’État « pour qu’ils s’assurent que ceux qui sont impliqués soient tenus responsables. »
Le rapport décrit un total de six tueries depuis 2012, quand l’escouade paramilitaire de la DEA connue sous le nom de Foreign Advisory Support Teams, ou FAST, a été envoyée au Honduras pour travailler avec les forces locales de maintien de l’ordre afin d’intercepter des convois de cocaïne. C’était la dernière d’une série d’opérations paramilitaires étalée sur 20 ans pour arrêter le transit de la cocaïne vers le Nord. Les équipes du FAST étaient dirigées par Richard Dobrich, un ancien membre du SEAL [unité d’élite Mer-Air-Terre, NdT]. Selon le rapport, des fonctionnaires de la DEA ont dit à l’ambassadeur des États-Unis pendant la phase de planification des opérations : « il y aura plusieurs décès. Il y aura des fusillades ».
Durant le programme de 90 jours connu sous le nom d’Operation Anvil [Opération enclume, NdT], la DEA a mené trois fusillades mortelles, avec un mort le 23 juillet, un autre le 3 juillet et les quatre civils honduriens anonymes abattus le 11 mai. Parmi ceux-ci, il y avait deux femmes, dont au moins une enceinte, et un garçon de 14 ans qui remontaient le fleuve sur un bateau de passagers.
Presque immédiatement le maire de Ahuas a protesté contre la tuerie. Le premier rapport d’Ahuas, par Alberto Arce et Katherine Corcoran de l’Associated Press, affirmait que les hélicoptères des autorités avaient « tiré sur des civils par erreur ». Lors de ma propre enquête sur les morts d’Ahuas pour le New Yorker, en 2014, j’ai regardé les rapports d’autopsie, les éléments de preuves médico-légales ainsi que les transcriptions d’interviews des commandos anti-drogues honduriens qui étaient sur place ; ils corroboraient les récits des gens d’Ahuas. Les victimes étaient selon toute apparence des civils qui avaient eu la malchance de se trouver sur un bateau de passagers remontant le fleuve au milieu de la nuit, au moment même où six membres de l’équipe menée par la DEA essayaient d’intercepter une deuxième embarcation qui transportait de la cocaïne. Il n’y avait aucun élément suggérant le contraire.”
Durant les cinq années suivantes, le gouvernement américain a maintenu que les décès étaient le résultat d’un échange de tirs à Ahuas entre l’équipe paramilitaire et des trafiquants de drogue. Il y avait eu « un échange de tirs » selon une lettre datant de 2013 d’Eric J. Akers, du bureau des affaires parlementaires de la DEA, envoyée à plus de 50 membres du Congrès. Un fonctionnaire américain anonyme a jeté le doute sur le récit local, en suggérant que la ville entière avait des liens avec les narco-trafiquants. La DEA avait une vidéo de la fusillade, qu’elle a présentée aux membres du Congrès, et quia été visionnée par des journalistes du New York Times. Dolbrich aurait dit au Congrès que la vidéo était une preuve de l’échange de tirs. Cependant, l’agence a refusé de la rendre publique. J’ai poursuivi la DEA au titre de la Loi sur la liberté de l’information pour obtenir la vidéo ; cette plainte est maintenant entre les mains d’une cour fédérale d’appel.
En réponse au nouveau rapport, un porte-parole de la DEA a déclaré par écrit : « Il y a cinq ans que les événements relatés dans le rapport ont eu lieu. Nous sommes d’accord avec toutes les recommandations de l’Inspecteur général et nous travaillons à les mettre en œuvre. »
Photo ci-dessus : des agents de la marine hondurienne patrouillent sur le fleuve Patuca près de Ahuas, une communauté reculée située dans la région de Mosquitia au Honduras, le 20 mai 2012.
Source : Mattathias Schwartz, The Intercept, 24-05-2017
Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

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