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vendredi 11 août 2017

Les Crises.fr - La boîte de Pandore de la guerre, par Chris Hedges



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11
Août
2017

La boîte de Pandore de la guerre, par Chris Hedges


Source : Truthdig, Chris Hedges, 07-04-2017

Des victimes de l’attaque chimique de cette semaine dans la ville syrienne de Khan Cheikhoun tenue par les rebelles. (Alaa Alyousef / AP)
La guerre ouvre la boîte de Pandore de maux qui, une fois lâchés, échappent à tout contrôle. L’invasion de l’Afghanistan fut entreprise pour vaincre al-Qaïda, et près de seize ans plus tard, nous sommes toujours embourbés dans une bataille perdue d’avance contre les Talibans. Nous avons cru que nous pouvions envahir l’Irak, y créer une démocratie à l’occidentale, et affaiblir le pouvoir de l’Iran dans la région. La fragmentation de l’Irak entre factions rivales a fait de l’Iran la nation musulmane dominante du Moyen-Orient, et a détruit l’unité de la nation irakienne. Nous avons cherché à faire tomber le président syrien Bachar El Assad et puis, nous avons commencé à bombarder les insurgés islamiques essayant de le renverser. Nous avons étendu la « guerre contre la terreur » au Yémen, à la Libye et à la Syrie dans un élan désespéré pour détruire les résistances régionales. Nous avons créé au contraire de nouveaux États faillis et des enclaves hors-la-loi où les vides ont été comblés par les forces djihadistes que nous cherchions à combattre. Nous avons gaspillé la somme sidérante de 4 790 milliards de dollars pour semer mort, destruction et folie alors que notre nation s’appauvrit de plus en plus et que le changement climatique nous menace d’extinction. Les marchands de canons, qui ont un intérêt particulier à ce que ces débâcles se perpétuent, travailleront pour gagner quelques milliers de milliards de plus avant que cet acte de suicide collectif impérial ne parvienne à son humiliante fin.
En guerre, attaquer un camp, c’est implicitement en aider un autre. Et le camp que nous aidons en frappant le régime d’Assad est ironiquement celui que nous sommes déterminé à éradiquer – le front al-Nosra, al-Qaida et d’autres groupes islamistes radicaux. Ce sont les même forces islamiques que nous avons grandement contribué à créer, armer et financer au début de la guerre civile syrienne avec l’aide de l’Arabie Saoudite, du Qatar, de la Turquie et du Koweït. Ce sont les forces qui sont nées du chaos causé par nos interventions militaires malencontreuses en Afghanistan, Irak, Libye Yémen, Somalie et au Pakistan. Ce sont les forces qui exécutent les otages occidentaux, massacrent les minorités religieuses, exportent le terrorisme en Europe et aux États-Unis, et récoltent des milliards de dollars en faisant passer illégalement des réfugiés en Europe. Ce sont parfois nos ennemis, et parfois nos alliés.

La sauvagerie des djihadistes nous renvoie la nôtre en miroir. Ces derniers répondent à nos frappes aériennes et à nos attaques de drones en utilisant des gilets d’explosifs ainsi que des engins explosifs improvisés. Ils répondent à nos « sites noirs » (lieux de détention secrets) et prisons comme Abu Ghraib et Guantanamo par des cellules souterraines où sont torturés les prisonniers capturés. Ils répondent à l’idée occidentale de laïcité par l’État islamique. Ils répondent à la violence par la violence.
Après l’intervention de la Russie contre eux, en septembre 2015, les militants islamiques en Syrie perdaient du terrain, des revenus financiers et des soutiens dans cette guerre qui durait depuis six ans. Et ce sont eux qui se sont réjouis cette semaine lorsque les États-Unis ont tiré cinquante-neuf missiles de croisière Tomahawk sur la base aérienne syrienne de Shayrat, signalée comme étant le site de lancement selon certains de l’attaque aux armes chimiques qui a tué quatre-vingt six personnes, dont au moins trente enfants, mardi dernier dans la ville de Khan Cheikhoun tenue par les rebelles. Le gouvernement syrien a déclaré que six personnes étaient mortes lors du bombardement américain.
L’indignation morale sélective des États-Unis, tant parmi les Démocrates que les Républicains, au sujet de l’attaque chimique présumée – je sais, après avoir couvert la guerre pendant deux décennies, que la vérité est très trouble et facilement manipulée en temps de guerre – cette indignation ignore la responsabilité première de l’Amérique dans l’ensemble du carnage qui a fait des centaines de milliers de morts et des millions de réfugiés, dont quatre millions d’irakiens et cinq millions de syriens. Elle ignore les 12 197 bombes que nous avons larguées en Syrie l’an dernier. Elle ignore notre rôle dans la création de l’État islamique en Irak et en Syrie et notre rôle dans l’armement et le financement de ces djihadistes en Syrie. Nous nous sommes assuré que les syriens – dont 400 000 sont morts et dont la moitié ont dû quitter leur foyer pendant la guerre – aient une large gamme de choix quant à leur mort.
La Syrie avait, et il se peut qu’elle ait encore, des armes chimiques. Il semble qu’elle les ait utilisées en 2013 à Ghouta, dans la banlieue de Damas, laissant pour mortes entre 281 et 1 729 personnes. Mais les Syriens, dans un accord international conclu par le secrétaire d’État de l’époque John Kerry avec le gouvernement russe, ont accepté de remettre leurs stock d’armes chimiques aux Russes à la suite de l’attaque. Et l’on doit se demander pourquoi la Syrie, qui est finalement en train de gagner la guerre, utiliserait des armes chimiques maintenant, risquant ainsi des représailles américaines. La Syrie a déclaré que l’agent innervant mortel sarin et probablement le gaz de chlore ont été relâchés lorsqu’un entrepôt rebelle contenant ces produits chimiques a été touché par une frappe aérienne.
Pourquoi cette soudaine indignation morale chez les Américains ? Pourquoi sommes-nous restés là sans rien faire pendant que les Syriens mouraient tous les jours sous les bombes barils, les balles, la famine, la maladie et noyés au large des côtes grecques? Pourquoi sommes-nous restés muets alors que les écoles, les pâtés de maisons, les mosquées et les hôpitaux ont été bombardés et réduits à des tas de gravats ? Où est l’indignation concernant la mort des autres milliers d’enfants, comme ceux qui ont été tués récemment à Mossoul quand le 17 Mars, une frappe aérienne de la coalition a ôté la vie à pas moins de 200 civils? Pourquoi ne sommes-nous pas furieux devant cette violation flagrante de nos lois fondamentales par l’administration Trump, qui a perpétré un acte de guerre sans approbation du Congrès ou des Nations Unies ? Pourquoi déplorons-nous ces morts et empêchons-nous cependant les réfugiés de guerre syriens d’entrer aux États-Unis ? Est-ce que la politique étrangère américaine doit être dictée par les émotions capricieuses de Donald Trump dont la perception de la réalité ne se fait qu’au travers d’un écran de télévision ?
Les islamistes radicaux peuvent toujours compter sur l’Occident pour intervenir et les ressusciter. Abu Musab al-Zarqawi, un Jordanien radicalisé, a fondé en Irak al-Tawhid al Jihad (l’unicité du Jihad) avec environ une centaine d’ancien combattants d’al-Qaida en Afghanistan. Son but était un conflit sectaire avec les Chiites. Un état rassemblant Chiites et Sunnites en Irak, était un anathème pour les djihadistes sunnites. Le groupe de Zarqawi est devenu al-Qaida en Irak en 2004. Il a fait allégeance à Oussama Ben Laden, qui au départ s’était opposé à l’appel de Zarqawi prônant une guerre contre les Chiites. Zarqawi a été tué en 2006.
En 2010, Al-Qaïda en Irak était une force à bout de souffle. Puis la guerre civile a commencé en Syrie. Les États-Unis, le Koweït, l’Arabie Saoudite, le Qatar et la Turquie ont fourni des armes, de l’argent et des moyens à des factions rebelles variées se trouvant en Syrie, dans le but de renverser le régime syrien. Abu Bakr al-Baghdadi, qui avait pris la tête de l’organisation de Zarqawi, l’avait rebaptisé « groupe de État Islamique d’Irak ». Il a vite rejoint la Syrie. Son groupe, comme toutes les organisations djihadistes de Syrie, a été arrosé d’armes et d’argent. Baghdadi a consacré son énergie à attaquer d’autres djihadistes et d’autres groupes rebelles. Il a progressivement pris le contrôle d’un territoire de la taille du Texas, à cheval sur la Syrie et l’Irak. Al-Nosra, le groupe affilié à Al-Qaïda en Syrie, a fusionné avec l’État Islamique d’Irak. Le nouveau groupe est devenu l’État Islamique d’Irak et de Syrie, ou ISIS. Il a attiré, selon les estimations, 20 000 combattants étrangers, dont quelques 4000 détenteurs de passeports européens. Selon les estimations du Wall Street Journal, le groupe gagne 2 millions de $ par jour grâce à la seule exportation de pétrole. Le trafic d’êtres humains lui a rapporté des milliards grâce aux réfugiés désespérés cherchant à fuir en Europe. Il a exécuté les membres des minorités religieuses ou les a chassés de leurs territoires. Le nouveau califat auto-proclamé a également terrorisé les Sunnites au nom de la pureté religieuse, comme Max Blumenthal et Ben Norton l’ont souligné dans l’article d’AlterNet : « Trump est il en train de sauver le bastion d’Al-Qaïda en Syrie ? »
La montée de l’État Islamique a instillé de la fierté et un sentiment de pouvoir à beaucoup de Sunnites, humiliés par l’occupation américaine. Elle a révélé des élites faibles et corrompues, vendues à Washington. Elle est la preuve que les forces militaires occidentales ne sont pas invincibles. Ces groupes vont connaître des revers mais ils ne vont pas s’en aller.
Il n’y a pas de manière facile ou propre de sortir du bourbier que nous avons créé dans la région. Aucun des insurgés dans la région ne souhaitera déposer les armes tant que l’occupation américaine au Moyen-Orient perdurera. Les guerres que nous avons commencées sont complexes. Il y a une myriade de guerres par procuration qui se mènent en sous-main, incluant notre guerre avec la Russie, la guerre des Turcs avec les Kurdes, et la guerre de l’Arabie Saoudite avec l’Iran. Les civils d’Afghanistan, d’Irak, de Syrie, de Libye et du Yémen en sont la chair à canon. Ces massacres durent depuis presque 16 ans déjà. Ils ne cesseront que lorsque les États-Unis seront épuisés et retireront leurs forces de la région. Et avant que cela n’arrive, beaucoup, beaucoup d’innocents vont mourir. Alors, gardez vos larmes. Nous ne sommes pas moralement différents des djihadistes ou des Syriens que nous combattons. Ils nous renvoient l’image de notre répugnant visage. Si nous voulons que cela change, nous le pouvons.
Source : Truthdig, Chris Hedges, 07-04-2017
Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

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