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lundi 24 juillet 2017

Les Crises.fr - La main des États-Unis dans les tragédies libyenne et syrienne

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24
Juil
2017

La main des États-Unis dans les tragédies libyenne et syrienne



Source : Jonathan Marshall, Consortium News, le 09-06-2017
Les désastres liés à la politique de « changement de régime » de l’administration Obama propagent la violence terroriste en Europe, mais ils sont à l’origine de bien plus de carnages dans ces deux pays touchés par cette tragédie, écrit Jonathan Marshall.
Les enquêtes policières et la presse ont confirmé que deux des attaques terroristes les plus meurtrières à s’être déroulées en Europe de l’Ouest – les attentats à la bombe et les fusillades coordonnés à Paris de novembre 2015 qui ont fait 130 victimes et l’attentat à la bombe de mai 2017 dans la salle Arena de Manchester en Angleterre, qui en a fait 23 – ont été provoquées par une unité de l’EI basée en Libye, unité du nom de Katibat al-Battar.

La secrétaire d’État des États-Unis Hillary Clinton évoque, lors d’une session du Conseil de sécurité des Nations Unies, la situation en Syrie (Nations Unies, New York, le 31 janvier 2012)

Depuis ces attaques, de nombreux analystesmoi y compris, les ont considérées comme une forme de « réaction » à la campagne désastreuse menée pour déposer le dictateur libyen Mouammar Kadhafi en 2011. En transformant la Libye en base-arrière des militants extrémistes radicaux, cette intervention a provoqué en boomerang l’exportation de la terreur vers Europe de l’Ouest.
Cependant, une critique aussi eurocentrique de l’intervention de l’OTAN laisse dans l’ombre les dommages bien plus graves qu’elle a provoqués en Syrie, où près d’un demi-million de personnes ont trouvé la mort et dont au moins 5 millions des citoyens ont dû s’enfuir depuis 2011. Les dirigeants états-uniens, britanniques et français ont contribué à déclencher, par leur hubris, l’une des plus grandes catastrophes modernes.
Il y a dix ans, la Libye, loin d’être un sanctuaire pour les opérations des djihadistes extrémistes, était l’un des principaux ennemis de ceux-ci. Un rapport de 2008 du département d’État faisait remarquer que « la Libye était un solide partenaire dans la lutte contre le terrorisme ». Il était aussi reconnaissant au régime de Kadhafi « de s’engager avec force dans des actions contre les flux de combattants étrangers », surtout des vétérans des guerres djihadistes en Afghanistan et en Syrie.
Tous ces efforts ont pris fin en 2011, quand des rebelles armés, qui comptaient, parmi eux, des membres disciplinés d’al-Qaïda et de l’EI, ont demandé l’aide de l’OTAN pour renverser le régime de Kadhafi. Les leaders occidentaux n’ont pas prêté attention aux avertissements prémonitoires du fils de Kadhafi, Seif, selon lequel « la Libye peut fort bien devenir la Somalie de l’Afrique du Nord, de la Méditerranée… Vous verrez des millions d’immigrants illégaux. La terreur sera à vos portes ». Kadhafi lui-même a prédit « qu’ une fois que les djihadistes auront le contrôle de la Méditerranée … alors il attaqueront l’Europe ».
Les attaques terroristes qui ont suivi en Europe ont, sans conteste, prouvé la validité de ces avertissements tout en discréditant le prétexte prétendument humanitaire de la guerre illégale en Syrie. Cependant les efforts des djihadistes pour contrôler la Méditerranée ont eu de bien plus graves répercussions, au moins dans le cas de la Syrie.
Un récent article du New York Times au sujet de la genèse des récentes attaques terroristes en France et en Grande-Bretagne a fait remarquer, en passant, que l’EI de Libye, constitué de « vétérans chevronnés des guerres d’Afghanistan et d”Irak », faisait partie « du premier contingent djihadiste étranger à arriver en Syrie en 2012, au moment où la révolte populaire du pays se changeait en guerre civile de grande envergure et en insurrection islamiste ».
Un ancien analyste britannique du contre-terrorisme a déclaré au journal : « Certains des mecs les plus dégueulasses d’al-Qaïda étaient des Libyens. Quand je me suis intéressé à l’EI, je me suis rendu compte que c’était la même chose. C’étaient les plus durs, les plus violents, ceux qui étaient toujours les plus extrémistes, contrairement aux autres. Les Libyens étaient l’élite des troupes et l’EI savait exploiter leurs caractéristiques ».
La violence extrémiste en Syrie.
Ces djihadistes libyens ont tiré parti de leur nombre, de leurs ressources et de leur fanatisme pour contribuer à l’escalade du conflit syrien jusqu’à la tragédie que nous voyons maintenant. Le carnage, que nous considérons maintenant comme allant de soi, n’était pas inévitable.

Le secrétaire d’État, John Kerry, prétend, le 30 août 2013, avoir les preuves de la responsabilité du gouvernement syrien dans l’attaque aux armes chimiques du 21 août 2013, mais ces preuves ou ne se sont pas concrétisées ou ont été, plus tard, discréditées.
Bien que les manifestations anti-gouvernementales en Syrie du printemps 2011 soient, très vite, presque depuis le début, devenues très violentes, beaucoup de réformateurs et de responsables gouvernementaux se sont efforcés d’empêcher une guerre civile totale. En août 2011, les dirigeants de l’opposition syrienne ont déclaré très raisonnablement que les appels aux armes étaient « inacceptables, d’un point de vue politique, national et éthique. Militariser la révolution conduirait à sous-évaluer la gravité de la catastrophe humanitaire qu’impliquerait une confrontation avec le régime. La militarisation amènerait la révolution sur un plan où le régime avait un avantage notable et elle saperait la supériorité morale qui avait caractérisé la révolution depuis le début ».
On l’a oublié aujourd’hui, en général, mais le gouvernement d’Assad a aussi pris des mesures sérieusespour encourager une désescalade de la violence, comme lever l’état d’urgence, dissoudre l’impopulaire Cour nationale de sécurité, nommer un nouveau gouvernement et organiser un dialogue national avec les leaders de l’opposition.
Mais le 18 août 2011, les mêmes dirigeants occidentaux qui bombardaient Kadhafi annonçaient au monde : « le temps est venu pour le président Assad de démissionner ». Comme pour fortifier la résolution des militants syriens, les rebelles libyens étaient alors juste en train de conquérir Tripoli avec l’aide de l’OTAN.
« C’est un signe de mauvais augure pour le président syrien Bachar al-Assad, écrivait le Wall Street Journal. Il y a déjà des signes qui montrent que la Libye inspire les rebelles qui essaient de renverser Assad… Les manifestants syriens sont descendus dans la rue pour scander : « Kadhafi ce soir, Assad demain… » Il est fort possible que l’épisode libyen ne serve qu’à intensifier le conflit en Syrie, à la fois en motivant les dissidents et en renforçant la détermination de M. Assad à tenir bon ».
Le développement du conflit en Syrie n’a pas été une conséquence involontaire de la campagne libyenne, mais une démarche volontaire de l’ambition ancienne des néoconservateurs de « remodeler le Moyen-Orient » en renversant des régimes extrémistes et antiaméricains. Le même article du Wall Street Journal évoquait les buts grandioses de certains interventionnistes de Washington :
« La nouvelle énergie apportée par le soulèvement libyen pourrait aussi se propager aux autres pays de la région, pas seulement à la Syrie. Les responsables états-uniens espèrent en particulier que cela va donner une nouvelle vigueur à un mouvement de protestation né en 2009 en Iran pour mettre en cause la réélection du président Mahmoud Ahmadimejad… La Syrie est depuis 30 ans le plus proche allié stratégique de l’Iran dans la région. Selon des responsables états-uniens, les menaces qui pèsent de plus en plus sur le régime d’Assad pourraient motiver les forces démocratiques iraniennes ».
Bien sûr, au lieu de motiver les démocrates iraniens, le conflit syrien a encouragé les tenants de la ligne dure de l’Iran à envoyer la Garde révolutionnaire et par procuration des forces du Hezbollah chez leur voisin, déstabilisant ainsi davantage la région.
À la suite de l’horrible meurtre de Kadhafi à l’automne 2011, les extrémistes libyens se sont vite mis à attiser d’autres conflits terroristes, du Mali jusqu’au Moyen-Orient, en utilisant des armes pillées dans les énormes stocks de Kadhafi.
« La prolifération des armes, provoquée par la fin du conflit libyen, était d’une échelle plus grande que lors de tout autre conflit, probablement dix fois plus d’armes que ce que nous avions vu en Irak, en Somalie et en Afghanistan », a constaté un expert de Human Rights Watch.
D’après une enquête des Nations Unies, « les transferts d’armes et de munitions venant de Libye ont été parmi les premiers lots d’armes et de munitions à atteindre l’opposition syrienne ». Elle souligne aussi que les armes libyennes étaient d’abord destinées à des « éléments extrémistes », pour leur permettre de gagner du terrain et de l’influence aux dépens de groupes rebelles plus modérés.
La propagation de la guerre
Selon le Daily Telegraph, dès novembre 2011, des seigneurs de guerre islamistes de Libye se sont mis à offrir « de l’argent et des armes aux mouvements de plus en plus importants insurgés contre Bachar al Assad ». Abdoulhakim Belhadj, commandant du Conseil militaire de Tripoli et ancien dirigeant du Libyan Islamic Fighting Group, un allié d’al-Qaïda, a rencontré secrètement, en Turquie, les dirigeants rebelles syriens pour discuter de l’entraînement de leurs troupes. Précisons qu’en 2004, cet homme avait été victime d’un complot de la CIA, qui l’avait kidnappé avant de le rendre à la Libye.

Le dirigeant destitué Muhammar Kadhafi peu avant son assassinat le 20 octobre 2011.
Le commandant d’une bande armée libyenne a déclaré à ce journal : « Tout le monde veut aller en Syrie. Nous avons libéré notre pays, maintenant nous devons aider les autres… C’est ça l’unité arabe ».
En avril 2012, les autorités libanaises ont confisqué un bateau contenant plus de 150 tonnes d’armes et de munitions provenant de Misrata en Libye. Un comité d’experts approuvé par les Nations Unies a inspecté les armes et a déclaré avoir trouvé des missiles sol air SA- 24 et SA-7, des missiles guidés anti-tanks et de nombreuses armes aussi bien légères que lourdes.
En août de cette même année, selon le magazine Time, « des centaines de Libyens » ont afflué en Syrie pour « exporter leur révolution » apportant avec eux des armes, des compétences pour fabriquer des bombes et une expérience en stratégie de combat.
« Quelques semaines après la conclusion heureuse de leur révolution, des combattants libyens ont commencé à arriver par petits groupes, notait le magazine. Mais ces derniers mois, ces petits groupes sont devenus énormes, beaucoup ayant voyagé jusqu’aux montagnes à cheval sur la Syrie et la Turquie, où les rebelles ont établi leurs bases ».
Un rebelle syrien a déclaré à l’hebdomadaire : « Ils ont des armes plus lourdes que les nôtres » comme les missiles sol-air. « Ils ont apporté ces armes en Syrie et on s’en sert sur le front ».
Un mois plus tard, le London Times nous a appris qu’un navire libyen transportant plus de 400 tonnes d’armes destinées à la Syrie, comme des missiles antiaériens SAM-7 et des grenades lancées par roquettes, s’était amarré en Turquie. Des armes de ce type ne pouvaient qu’aggraver la souffrance des civils pris dans cette guerre.
Comme l’avait déclaré à des journalistes le ministre français des Affaires étrangères, les missiles anti-aériens des rebelles « forçaient les avions (du gouvernement syrien) à voler très haut, ce qui rendait les frappes moins précises ».
Selon ce qu’a écrit plus tard le journaliste Seymour Hersch, la plupart des armes libyennes de ce type arrivaient en Syrie par des itinéraires secrets, surveillés par la CIA, d’après un programme autorisé par l’administration Obama début 2012. Les subventions et le soutien logistique venaient de Turquie, d’Arabie saoudite et du Qatar. La CIA, pense-t-on, évitait de révéler le programme au Congrès en le classifiant comme opération de liaison avec un partenaire du renseignement étranger, le MI6 de Grande Bretagne.
Les médias de Londres commencèrent à avoir vent de l’opération en décembre 2012. La CIA, disait-on, envoyait davantage de conseillers pour s’assurer que les armes libyennes n’arrivent pas jusqu’aux forces extrémistes islamistes.
Bien sûr, ces efforts étaient trop tardifs, des responsables du renseignement des États Unis savaient déjà alors que « les salafistes, les Frères musulmans et (al-Qaïda) » étaient « les forces principales qui contrôlaient l’insurrection ». L’afflux de nouvelles armes a simplement aggravé les souffrances de la Syrie et a fait encore plus de ce pays le théâtre d’une dangereuse compétition internationale pour le pouvoir.
Les armes et les combattants de Libye ont contribué à transformer le conflit syrien et à changer une lutte âpre en bain de sang. Comme l’érudit moyen-oriental, Omar Dahi l’a fait remarquer, « l’année 2012 a joué un rôle décisif dans la genèse de la catastrophe actuelle. Il y avait des éléments étrangers impliqués en Syrie avant cette date… mais jusqu’au début de 2012, la dynamique du conflit syrien était, en grande partie, interne. À la fois à cause des armes injectées de l’extérieur et de l’espoir d’une aide militaire plus importante, une aide de l’Occident, pour être clair, l’opposition a décidé de prendre les armes.
« La décision de militarisation a eu trois effets principaux. D’abord, elle a spectaculairement augmenté le nombre de victimes et les ravages dans le pays tout entier… À la mi-2012, le nombre de morts par mois était presque le même que celui de la totalité de la première année du soulèvement. La militarisation a donné au régime syrien carte blanche pour utiliser exhaustivement son arsenal d’armes. Et peut-être ce qui est le plus catastrophique, l’émergence d’une rébellion armée a placé beaucoup des chances de l’opposition entre les mains de ceux qui voulaient donner de l’argent et armer les combattants… C’est à ce moment que les groupes djihadistes se sont lancés ».
Les victimes collatérales de l’intervention de l’OTAN en Libye comprennent maintenant 6 millions de Libyens qui essaient de survivre dans un État failli, des millions de personnes en Afrique du Nord en proie au terrorisme islamiste, 20 millions de Syriens qui n’attendent que la fin de la guerre et des millions d’Européens innocents qui se demandent quand ils risquent d’être pris pour cibles par des attentats suicides terroristes. Il n’y a rien d’humanitaire dans des guerres qui déchaînent de tels massacres, provoquent un tel chaos, des guerres dont on n’entrevoit pas la fin.
Jonathan Marshall est un contributeur régulier de Consortiumnews.com
Source : Jonathan Marshall, Consortium News, le 09-062017
Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

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