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lundi 24 juillet 2017

C’est l’été, la lutte continue et on ne lâche rien - Jean-Luc Mélenchon

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                                 Jean-Luc Mélenchon

C’est l’été, la lutte continue et on ne lâche rien

Lundi 24 juillet 2017
                                      C'est l'été, la lutte continue et on ne lâche rien
                                             Crédits photo : Kremlin

Cette semaine commence le débat à l’Assemblée nationale concernant la « moralisation de la vie politique ». Queue de comète des avatars de Monsieur Fillon dans la campagne présidentielle, enfant du hasard de l’accord électoral de Bayrou avec Macron, ce texte suinte l’antiparlementarisme et la stratégie de la victime expiatoire. Sans nier l’importance d’avoir un système de représentation parlementaire vertueux, comment croire un seul instant que les problèmes de la corruption de notre société par l’argent soient concentrés à cet endroit sans qu’il y en ait trace dans bien d’autres centres de pouvoirs autrement plus violents pour la société !
Toute la période que nous vivons se déroule comme une addition de coups de force visant à renforcer de toutes les façons possibles la monarchie présidentielle et la caste dont elle garantit les privilèges. Les ordonnances sur le code du travail, l’état d’urgence, les diverses gesticulations déguisées du président de la République, tout concourt à la même méthode de confiscation de la démocratie. Comme il est significatif de voir que, sans la question de Clémentine Autain devant l’Assemblée nationale, pas un mot n’aurait été prononcé par un seul responsable politique de la majorité et des soi-disant oppositions de droite et socialiste sur la mise en œuvre dès le 21 septembre prochain de l’accord de libre-échange avec le Canada, alors même qu’il n’a été adopté par aucun Parlement national ! La période Macron se présente bien comme un concentrée du caractère autoritaire que contient le « libéralisme » de notre époque.

La pauvreté a de l’avenir en France. On va voir bientôt de combien de basculements individuels sera responsable la conjonction entre la baisse de l’APL, l’augmentation de la CSG et des différents autres tarifs de l’existence quotidienne comme le transport, le gaz, l’électricité. Nous sommes contemporains de l’entrée dans un nouvel état de la pauvreté dans la vie du pays. Ce n’est plus une pauvreté conjoncturelle, liée à un état individuel provisoire de difficultés personnelles. C’est une pauvreté structurelle. Une pauvreté durable et transmise d’une génération sur l’autre. Elle est enkystée au cœur de la société et développe progressivement son emprise dans des secteurs de plus en plus large.
Car la descente aux enfers de la pauvreté se commence à partir de tous les échelons de la société. Même si à l’évidence c’est toujours à partir des gros bataillons des plus fragiles et des bas salaires que viennent les nouvelles cohortes de pauvres, il faut voir aussi comment dans les hautes échelles de salaires de même, un dérapage hors de l’emploi, sa conjonction avec un moment personnel difficile, peut conduire tout droit vers l’abîme. La précarisation des classes moyennes fournit donc elle aussi un ample réservoir de pauvres. Plus systématiques sont les dispositifs de précarisation, plus le filet social est percé de trous, plus l’entrée en pauvreté fonctionne comme une trappe à sens unique. À partir du moment où elle cesse d’être le phénomène marginal qu’elle a été pendant tant de décennies, la pauvreté devenue visible et incontournable modifie les relations sociales de tous ceux qui en sont rendus témoins et protagonistes d’une façon ou d’une autre.
Par exemple, l’impossibilité dans laquelle se trouve chacun de secourir les pauvres qui l’entourent finit par créer une atmosphère et une culture d’indifférence humaine et d’endurcissement face au malheur des autres. Car en pensant à la pauvreté, il ne faut jamais oublier combien elle n’est pas « seulement » une question de revenu. Les pauvres ne sont pas seulement des gens qui ne « gagnent pas assez ». La pauvreté provoque des dizaines d’autres impasses douloureuses dans l’existence quotidienne. Les pauvres sont mal logés et finissent par ne plus être logés du tout. Ils tombent plus facilement malades et ne peuvent se soigner. Et ainsi de suite. La pauvreté augmente le nombre des personnes sans domicile fixe qui errent dans les rues, celui des enfants sans toit, celui des malades contagieux et ainsi de suite. Un nombre important de gens peuvent devenir pauvres en très peu de temps. Mais pour ressortir de la pauvreté il faut du temps et même parfois beaucoup de temps. Par exemple, pour un an passé dans la rue sans domicile fixe, il faut deux ans pour retrouver les habitudes de socialisation liée à l’occupation d’un logement.
Dans ces conditions le passage d’une société sans pauvres à une « société paupérisée » est un changement général bien plus vaste que ce que laisserait croire la statistique du seul nombre des pauvres. Toute la société est contaminée par les malheurs qui s’y répandent. Mais attention : une société paupérisée n’est pas une société nécessairement pauvre. C’est une société dans laquelle le nombre des pauvres est en augmentation. Et ce phénomène peut être en concomitant avec celui de l’augmentation du nombre des riches. Ainsi la France peut-elle être à la fois record d’Europe du nombre des millionnaires et compter dorénavant 9 millions de pauvres. Ainsi la France est devenue une « société paupérisée » alors que la richesse du pays a augmenté. Elle ne pourra donc ressortir de cette situation sans faire beaucoup d’efforts de partage.
Pour l’instant, nous avons un certitude : notre pays va se paupériser davantage. Il court avec méthode et organisation. C’est le revers concret du projet mythique sur lequel est fondée la politique du nouveau gouvernement qui aggrave celle du précédent. Depuis trois présidences consécutives, au moins, est mise en œuvre une logique folle. C’est la théorie incroyable selon laquelle plus les riches sont riches, plus le « ruissellement » de la richesse du haut vers le bas se produit ! Pris à la gorge par la colère froide qui s’est exprimée à travers le désaveu massif contre Hollande puis l’abstention abyssale aux élections, le système Macron accélère à une vitesse vertigineuse dans la direction qui a pourtant échoué partout. Elle échouera encore et se traduira par une explosion de la pauvreté jamais vue. Je l’affirme parce que je l’observe dans tous les pays où ont été appliquées les recettes que Monsieur Macron est en train de généraliser.
Dans ces conditions, je crois utile de nous alerter. J’ai bien vu les difficultés que je rencontrais à installer le thème de la pauvreté dans le débat public. Je l’ai engagé avec force dans mon discours à la « Fête de l’Humanité » en septembre dernier. Puis j’y suis revenu régulièrement au fil de mes discours de campagne présidentielle. Je pense être parvenu à retenir l’écoute. Pour autant, cela ne me suffit pas. Encore une fois, la pauvreté n’est pas seulement à étudier et à comprendre sous le seul angle de l’échec des politiques libérales. Les pauvres forment un nouveau continent de pratiques, d’attentes, d’auto-organisation. Quand je rappelle qu’il y a 9 millions de pauvres dans notre pays, je veux aussi rapprocher ce chiffre du nombre d’ouvriers et d’employés qui est de 13 millions. Nous parlons donc ici d’une catégorie sociale considérable, la plus importante de celle qui est définie par les rapports sociaux de notre pays.
Je pense depuis longtemps que la famille politique dont je suis issu, la « gauche », n’a jamais bien su comprendre et traiter cet aspect global du problème de la pauvreté et des conséquences de son émergence en masse dans les sociétés développées. Je veux dire par là qu’elle n’a pas su donner de perspective au traitement politique de la pauvreté dans une démarche de mobilisation politique des pauvres eux-mêmes. Les pauvres dans notre société n’ont jamais été pensés comme une catégorie particulière porteuse de méthodes et d’objectifs spécifiques à l’intérieur du combat général de la société contre la prédation capitaliste. Ce n’est pas le même combat, dans les mêmes formes, avec les mêmes mots, que celui qui consiste à défendre des conquêtes sociales et celui qui consiste à être dans l’obligation de trouver les moyens de survivre. Cette action pour la survie ne doit pas être regardée comme un antichambre avant d’entrer dans la voie glorieuse des luttes sociales. Tout au contraire. Mettre en place les moyens de la survie c’est dessiner la contre-société vers laquelle nous voudrions nous diriger.
Cette question de la pauvreté doit revenir sur la table. Au fil des discussions de la session extraordinaire au Parlement, nous avons eu droit, en effet, de nouveau, à l’exaltation du modèle allemand vers lequel nous devrions nous diriger. Cette propagande inépuisable n’a jamais voulu tenir compte des réalités sociales et écologiques désolantes de ce fameux modèle. Le moment n’est-il pas venu d’en faire le bilan ? J’ai fait un livre sur le sujet comme on s’en souvient : Le Hareng de Bismarck. Les diagnostics que j’avais posés dans ce livre sont tous non seulement confirmés mais amplifiés. Je ne ferai pas ici le bilan détaillé des bonnes anticipations que ce livre contient. S’il traîne encore chez vous, jetez un œil sous l’angle de ce que l’actualité vous a appris depuis qu’il est paru à propos de la réalité du « modèle allemand ». Mais ce qui m’impressionne par-dessus tout à cet instant c’est la vitesse avec laquelle l’extrême pauvreté s’est répandue dans la société allemande. Le journal Marianne vient de produire un article qui décrit une situation épouvantable. « L’Allemagne, le pays où les pauvres se cachent ».
L’introduction résume le propos : « Outre-Rhin, le chômage baisse, et la pauvreté s’envole. Obnubilés par les performances économiques du pays, les gouvernants ne se soucient guère des inégalités qui se creusent de plus en plus. Et de la misère qui se cache. » Le constat est accablant. Et dans ces conditions les comparaisons avec la France ne fonctionnent plus du tout dans le même sens. Voyez plutôt : « Outre-Rhin, 22,5 % des actifs gagnent moins de 10,50 € de l’heure contre seulement 8,8 % pour la France. Masquée par les énormes surplus commerciaux des entreprises, la hausse du niveau de pauvreté commence à menacer la cohésion de la société allemande. “L’Allemagne a atteint un nouveau record depuis la réunification, avec un taux de pauvreté de 15,7 %, soit 12,9 millions de personnes”, s’inquiète Ulrich Schneider, secrétaire général de la Fédération allemande des organisations caritatives. Même le Fonds monétaire international s’alarme de la situation dans son dernier rapport annuel : “Malgré un filet de sécurité sociale bien développé et une forte progression de l’emploi, le risque de pauvreté relative [en Allemagne] demande une attention continue.” Début juillet, c’est la fondation syndicale Hans Böckler qui a montré à son tour que le nombre de travailleurs pauvres, c’est-à-dire gagnant moins de 60 % du revenu médian, est passé d’environ 2 millions de salariés en 2004 à 4 millions en 2014 (9,7 % de la population active) ! ».
Le papier de Marianne est stupéfiant ! Il confirme absolument la thèse de mon livre. Je ne le dis pas pour la seule satisfaction d’avoir produit un ouvrage qui touchait juste et visait plus loin que la pluie d’injures dont je fus accablé ne le disait. Le « modèle allemand » est appliqué à toute l’Europe. Ces composantes sont l’objectif de toutes les politiques européennes. Tous les gouvernements du vieux continent s’efforcent d’y parvenir. La politique actuelle de l’équipe Macron, toutes les décisions qui viennent d’être prises et celles qui se préparent ont pour objectif d’égaler et parfois de dépasser les prescriptions qui ont été appliquées en Allemagne. Dans les conditions particulières de la France, c’est-à-dire d’un pays où l’État et les services publics et d’une façon générale la mutualisation de nombre de dépenses essentielles dans l’existence quotidienne forme la trame intime de la société, ce qui va se généraliser c’est l’émergence d’immenses zones de « non-droit ». Non-droits sociaux, non-droits civiques, non-droits d’existence.
J’ai sous les yeux à Marseille une image concentrée de cette situation. Peut-être est-ce la seule ville de France où ce qui est laborieux ailleurs existe en centre-ville ici. Si cette image est si saisissante, c’est justement parce qu’elle juxtapose des réalités qui, dans le reste du pays, sont plus clairement compartimentées. Pour autant, la grande pauvreté, les territoires et les populations abandonnés de tous services publics et de tous moyens de vivre en commun sont désormais répandus de tous côtés et dans les secteurs les plus traditionnels de ce que l’on appelait la France profonde.
Il faut donc en tirer les conclusions stratégiques qui s’imposent. On ne doit plus contourner cette question. J’ai observé dans d’autres pays comment la mobilisation des pauvres avec leurs propres méthodes pouvait être un levier fantastique de la révolution citoyenne. Et parfois même son déclencheur avant d’être ensuite son vecteur essentiel. Tout commence par le fait que l’on soit capable, dans les états-majors, de comprendre cette réalité. Puis de l’accepter en tant que telle. En Amérique latine, ce processus a été facilité par la référence aux Évangiles qui forment la base de la culture populaire. Il y est alors plus facile de se dire « pauvre », ce qui ne se conçoit pas dans des sociétés comme les nôtres. La difficulté est alors accrue comme chaque fois que l’on ne peut se nommer soi-même. C’est pour cela qu’il est si important de prendre en charge dans le discours public une réalité qui sans cela n’est pas nommée et ne peut se nommer elle-même.
Le second aspect est la vigilance et l’attention à l’égard des formes d’action déjà existante contre les conséquences de la pauvreté, soit de la part des pauvres mêmes soit de cette partie de la population qui a compris l’enjeu et qui vient au secours des autres. Entre ces deux moments de l’action, la prise de conscience et l’observation des points d’appui dans la réalité, on peut encore introduire une méthode de travail. C’est celle qu’a mise en œuvre notre système de « caravane ». Dans ce cas nous sommes allés au-devant des gens dans les quartiers avec notre logiciel de recherche des droits sociaux. Ce contact simple permet à chacun de s’auto-définir en utilisant le logiciel. Il permet souvent de récupérer des droits et prestations que les gens concernés ne connaissaient même pas. On peut alors décrire cette initiative comme une « enquête-conscientisation ». Car ce n’est pas rien de commencer à oser dire.
Nous avions assorti la caravane d’un travail d’inscription sur les listes électorales. Ce fut un grand succès. Nous recommençons cet été. Mais l’intention des équipes qui m’entouraient, avec qui j’ai fait le point sur ce travail, est en train de s’élargir. Nous envisageons de nouvelles formes d’intervention toute aussi directe mais qui aurait le double avantage d’une part de rendre service, de l’autre de flétrir le système et la caste des importants qui méprisent la pauvreté en ignorant et en se moquant des conséquences des décisions économiques qu’ils prennent. Une bonne façon par exemple de constituer des équipes de personnel bénévole soignant qui intervienne pendant une petite période dans les secteurs des populations abandonnées. Ce travail doit être organisé avec les méthodes et la vie de silence qui sont de mise par exemple lorsqu’on intervient dans des pays du « tiers-monde ». En effet le « quart-monde » de la pauvreté dans les pays riches relève de soins particuliers. Mais donner à voir de telles interventions d’urgence sanitaire en plein milieu de la cinquième puissance du monde, voilà qui est le meilleur camouflet que l’on puisse infliger aux « importants » et au « très intelligents » qui gouvernent ce pays et prétendent le faire d’une manière rationnelle et performante. S’il le faut d’ailleurs, nous demanderons de l’aide à des pays étrangers. Pourquoi pas l’Allemagne, puisqu’elle est censée nous servir de modèle !
Si notre mouvement doit être l’expression politique du grand nombre populaire, il lui faut s’inscrire au cœur de ce phénomène de masse de la pauvreté et de la paupérisation. La réplique ne peut être exclusivement revendicative. Bien sûr elle doit l’être. Pas question de relâcher l’action pour exiger le respect des droits élémentaires de chacun : droit à la scolarisation, droit à la santé, droit à la mobilité et ainsi de suite. Le problème posé est celui de notre capacité à mettre en mouvement des masses de gens sur des objectifs communs. On ne peut y parvenir seulement avec des pétitions dans les secteurs de la société dévorés par les tâches des luttes pour la survie.
Il nous faut donc nous y construire comme une contre-société. Autrement dit : développer et organiser autant que nous le pouvons toutes les formes d’auto-organisation populaire destinée à remplacer l’État disparu, la municipalité défaillante, le service public absent et ainsi de suite. La meilleure manière de revendiquer et d’exiger ces droits serait alors d’en mettre soi-même en place les moyens. Hors de cette façon de faire, que pourrions-nous proposer ? Et pourrions-nous nous suffire d’être les porte-parole aptes à bien décrire, à bien rappeler ? Bien sûr, cela est nécessaire. Mais cela n’est pas suffisant si l’on en revient à l’idée qui est le cœur de la stratégie de la révolution citoyenne : l’implication de toute la société dans la transformation à opérer. On ne peut imaginer que plusieurs millions de personnes dans le cas d’un grand changement seraient seulement appelées à en attendre les effets pour eux-mêmes. Si l’augmentation des minima sociaux est bien inscrite dans notre programme, pour autant, ce n’est pas le projet de vie que nous proposons à ceux qui vont en bénéficier. Ce projet de vie, nous pouvons commencer à le mettre en œuvre nous-mêmes sur le terrain, dans des actions qui incarnent les valeurs que nous voulons mettre au poste de commande de l’organisation de la société.

C’est une nouvelle qui a de l’importance à mes yeux. La Commission européenne a décidé de punir la Pologne. Il s’agirait de lui supprimer le droit de vote au Conseil de gouvernement de l’Union. Le motif officiel concerne l’appréciation que la Commission a des réformes de la justice prévue par le gouvernement polonais du PIS. Il s’agit d’une décision sans précédent. Il est d’autant plus surprenant qu’elle ait été prise qu’elle n’a aucune chance d’aboutir. En effet la Hongrie, dirigée par Viktor Orban, ne le permettra jamais.
Bien sûr le motif de la punition est sérieux. Le gouvernement polonais, réactionnaire, nationaliste et obscurantiste prend des mesures qui, aux yeux de l’Union, constituent une menace pour l’indépendance de la justice de ce pays. Mais personne ne peut croire que cela émeuve sérieusement l’Union européenne, elle qui est capable de pactiser avec des néonazis en Ukraine. Le motif doit être plus puissant et la question des droits de l’homme, comme d’habitude, doit être un prétexte. Au demeurant peu importe. Le fond de l’affaire est sérieux. C’est la deuxième fois en peu de temps que l’Union prétend régir les décisions intérieures de ce pays. La première fois, ce fut lorsque le mandat du précédent président du conseil, Monsieur Donald Tusk, vint à échéance. Tusk est polonais. Un bon Polonais conforme aux normes européennes, c’est à dire allemandes. Le gouvernement allemand en effet fut le premier à émettre l’idée que Monsieur Tusk pourrait obtenir un second mandat de président. Aussitôt, le président français, c’était alors François Hollande, approuva comme d’habitude. Mais les Polonais, eux, avaient un autre candidat. L’Allemagne et ses satellites ont donc imposé de force un Polonais, membre de l’opposition dans son pays qui ne convenait pas au gouvernement polonais nouvellement élu. C’est une première dont la brutalité n’a pas été discutée.
Bien sûr, le président du Conseil de gouvernement n’a aucune autorité. Cette présidence n’est donc pas un enjeu. Mais l’événement dans ce cas est dans la violence contre un gouvernement qui récuse la candidature d’un de ses compatriotes. Imaginons ce que serait notre réaction si le gouvernement allemand proposait une candidature française contre l’avis du gouvernement français ! À présent, voici la menace la plus extrême qui ait jamais été faite, pour des raisons politiques, à un État membre de l’Union. Une autre partie se joue, c’est évident. Dans un passé récent, un autre gouvernement autoritaire s’était confronté à l’Union. C’est celui de Monsieur Orban en Hongrie. Orban ne céda rien. Il obtint tout. Ainsi vit-on le président du groupe de la droite européenne, c’était à l’époque un Français, l’embrasser en plein hémicycle sous les applaudissements de ses collègues. Tout cela dans l’indifférence la plus complète des traditionnels et perpétuels donneurs de leçons de morale européenne.
L’opération reprend cette fois-ci en direction de la Pologne. Évidemment, les raisons de s’inquiéter, concernant le gouvernement hongrois comme à propos du gouvernement polonais, sont réelles et sérieuses. Ces deux pays, après bien d’autres dans l’ancienne Europe de l’Est, sont en pleine dérive nationaliste, autoritaire et obscurantiste. Tout en piétinant l’essentiel de ce que nous croyons être des principes fondateurs de nos démocraties, ces deux pays ont fait amplement allégeance aux USA. C’est en Pologne que se trouvent des troupes américaines depuis peu. Et c’est là qu’est installée la batterie de missiles antimissiles qui menace la Russie et dont l’installation a été approuvée par François Hollande alors même qu’elle ruine la stratégie de dissuasion française. Je le mentionne pour signaler que les gouvernements de ces deux pays se fichent en effet comme d’une guigne de tous les discours mielleux et enchantés qui nous sont faits de l’Europe et de ses vertus démocratiques. Ils sont clairement et ouvertement bellicistes à l’égard de la Russie, mais évidemment dans les conditions de leur propre histoire, de leurs propres objectifs. La vision glamour de l’Europe n’a aucune prise sur eux tandis qu’elle sert à saouler et abrutir et même à empêcher de penser dans nos régions.
Pour ma part, je ne retiens qu’une chose de cette séquence. L’Union se donne le droit d’évaluer ce qu’est une bonne réforme de la magistrature et une mauvaise. C’est ce qu’elle est en train de faire en Pologne. Elle menace de sanctions, non pour les appliquer, mais pour faire constater son droit de menacer. Elle le fait à un moment où le Conseil de gouvernement est dirigé par un polonais que la Pologne a récusé. Dans ces conditions, la raison sérieuse d’être inquiet de l’évolution du régime polonais ne peut faire perdre de vue la signification de la réplique qui lui est opposée.
Sommes-nous d’accord pour que,  après que l’Union européenne puisse décider de sanctions contre nos pays si nous n’appliquons pas la politique économique qui lui convient, elle puisse également intervenir sur des questions qui relèvent strictement la souveraineté d’un État, à savoir l’organisation de sa magistrature ? Est-ce bien cela que nous voulons ? Est-ce une évolution que nous approuvons ? À cet instant, et pour mieux impliquer mes lecteurs à la réflexion, je n’exprime pas de point de vue personnel. Je veux seulement alerter et m’assurer que chacun a bien compris le sens de ce qui se passe. Si demain nous gouvernons, sommes-nous prêts à admettre les injonctions qui nous serons faites sous prétexte que nos lois sociales menacent les droits de la propriété privée ? Par exemple. Sans oublier la violation des Droits de l’Homme que serait le fait de retirer leurs mandats sociaux aux fraudeurs du fisc ? Et ainsi de suite.

La création de notre groupe parlementaire a été un événement politique parmi les moments fondateurs de la nouvelle période ouverte par l’élection présidentielle de 2017. Nos premiers pas dans l’hémicycle ont été salués par presque tous les observateurs. Beaucoup ont été impressionnés par les nouveaux visages qu’ils découvraient et par l’aisance de leurs premières interventions. En quelques jours est morte la légende fielleuse d’après laquelle j’aurais été toujours un homme seul, parfois entouré de robots sans personnalité. Les plus jeunes de ceux que l’on a pu voir, comme les autres, ont fait preuve d’une personnalité et d’une efficacité dans l’argumentation montrant combien leur préparation vient de loin. La rapidité avec laquelle ils ont été capables de former un ensemble cohérent se partageant les tâches et les tours de rôle dans les prises de parole le confirment.
Le secret est le suivant : ce sont des militants ! Quel que soit leur âge, tous ont une expérience confirmée de l’engagement et de tout ce qui va avec : la capacité à relier des événements à une doctrine et un programme, l’art de prendre la parole pour présenter des synthèses et ainsi de suite. Ces personnes ne sont pas sorties de terre comme des champignons après la pluie juste par la grâce d’une élection. Elles ne militent pas avec moi seulement depuis la dernière élection présidentielle. Et elles non plus ne sont pas seules. Vous ne voyez là qu’une partie des centaines, des milliers de cadres de ce niveau, présents dans nos rangs, qu’ils aient été candidats ou pas aux élections législatives, qu’ils aient franchi ou non la barre du deuxième tour.
Non, toutes ces années passées en dehors des rangs « officiels » n’ont pas été vaines. Non, elles ne se résument pas à l’histoire des batailles dérisoires des courants et sous-courants du Parti socialiste, d’EELV et de tous ces gens dont il suffisait qu’ils vous tournent le dos pour qu’on vous dise « seul ». Eux n’ont rien créé, rien construit et tout détruit autour d’eux. Nous avons construit avec des hauts et des bas, patiemment, une force politique de masse, cohérente, composée de 7 millions d’électeurs et de 500 000 personnes engagées en appui, le tout unifié par un programme et un mouvement fédéré par l’action. Je veux le souligner non seulement pour rendre justice à tous ceux qui ont participé à cette longue marche et ne sont pas dans la lumière de ces jours, mais pour transmettre l’expérience prouvant la possibilité, à condition de patience et de ténacité, d’ouvrir de nouveaux chemins tout en restant fidèle à ses engagements initiaux.
Les premiers pas de notre groupe ont fonctionné comme un parcours enchanté. Tout a semblé se faire naturellement, sans difficultés ni tensions. Naturellement, nous étions tous saisis par la nouveauté de ce que nous avions à faire. Et sous la pression de l’attente dont nous sentions que nous étions entourés. Certes. Mais je me trouvais pratiquement seul à avoir l’expérience d’une vie de groupe politique. Cela ne suffit pourtant pas pour faire face à ce qui nous attendait. L’enjeu essentiel était de parvenir à former un groupe et non une addition d’individus. C’est un objectif très délicat à atteindre. Il repose pour l’essentiel sur la capacité de chacun à le faire sien. Il faut en avoir envie, il faut aussi s’y obliger. Le parcours pouvait paraître d’autant plus périlleux que chacune des 17 personnes présentes dans ce groupe est elle-même une forte personnalité ayant assumé d’innombrables rébellions au fil de son engagement. J’ai considéré que c’était pour l’essentiel la mission qui m’était confiée en même temps que j’étais élu président du groupe.
C’est à cette condition, chacun se sentant à l’aise, que le meilleur de nous peut s’exprimer librement. Les observateurs avaient voulu entretenir l’idée que ce groupe serait sous contrôle permanent, sous l’empire d’une discipline de fer. En effet nous sommes disciplinés à notre façon c’est-à-dire qu’une fois d’accord sur quelque chose, nous chassons en meute. Et quand il y a désaccord ici ou là, personne ne se sent obligé d’en faire une théorie ou une querelle. Vous saurez donc que le plus difficile n’a pas été de désigner à chaque fois les orateurs et les oratrices du groupe mais de tâcher de les aider car ils se sentaient bien seuls au moment d’écrire le texte de leur intervention ou de leurs questions. Le plus pénible n’a pas été de lire des textes écrits par d’autres mais plutôt de devoir improviser chacun le sien. Le plus dur n’a pas été de contrebalancer des jalousies que la gloire médiatique aurait déchaînées mais de ne pas perdre une miette de l’émulation et du perfectionnisme que les premiers succès ont déclenché dans nos rangs.
Pour ma part je vis ces riches heures comme un accomplissement. Je sais que j’ai atteint nombre des objectifs que je m’étais fixés avec la poignée de têtes dures avec qui j’ai fait équipe pour quitter le PS en 2008 et construire la suite. Bien sûr, ce résultat se situe au point de convergence avec d’autres parcours. Mais il fallait qu’ils puissent converger et pour cela qu’une ligne stratégique soit fixée et soit couronnée de succès, sans se perdre dans les querelles de leadership, la tambouille partidaire et les autres miasmes du type « primaire de toute la gauche » pour ne citer que ce piteux épisode.
Notre premier objectif commun était de donner à voir à la fois notre cohérence et la diversité de nos façons d’entrer dans les sujets mis sur la table. Si le fait que le premier débat parlementaire ait porté sur la destruction du code du travail est un symbole pour l’ère Macron, il a été aussi pour nous définir aux yeux de tous. Il ne faudrait pas croire que nous ayons passé notre temps à méditer sur ces aspects stratégiques du combat. Les premiers problèmes étaient extrêmement prosaïques. D’abord nous n’avions ni bureau ni matériel. Les élus venus des régions partageaient leur temps entre la réorganisation concrète de leur vie familiale et celle de leur travail en errant dans les couloirs de l’Assemblée nationale, d’une salle à l’autre au fil des réservations et des disponibilités. Tout devait être mis en place à mesure que les tâches se présentaient. Nommer la secrétaire générale du groupe n’a pas été le plus difficile, ni le plus long. Mais le recrutement des autres collaborateurs du groupe comme ceux de chacun d’entre nous est un processus qui prend du temps par nécessité.
Nous avons donc commencé notre bataille sur le code du travail en crucifiant deux personnes attelées nuits et jours à fabriquer nos dossiers et nos munitions argumentées ! Heureusement que nous avions tous étés sérieusement préparés par l’expérience de l’argumentation dans la bataille contre la loi El Khomri ! Simultanément, il fallait anticiper les débats qui arrivaient pour être présents sur chaque texte. Sans oublier nos commencements dans les commissions dont nous sommes devenus membres et la difficulté de coordonner les résultats de chacun avant l’entrée en séance plénière. Si je devais décrire dans le détail chacun des épisodes, et ajouter ceux, moins connus, des innombrables répartitions auxquelles il faut procéder dans les premiers pas de la formation de la nouvelle Assemblée nationale, je serai le premier à me demander comment nous avons réussi à tout faire en même temps. Et surtout en assurant un maximum de navettes avec nos circonscriptions.
Quand de telles choses se font aussi naturellement et aussi harmonieusement, c’est qu’est à l’œuvre quelque chose de plus grand que chacun d’entre nous, dont cependant nous ressentons la force propulsive et organisatrice. Les soutiens que nous avons immédiatement reçus, les retours du terrain, tout cela nous a galvanisés et concentrés sur les tâches que nous avions à accomplir. Les tâches, l’action, une fois de plus, se sont révélés être les grands fédérateurs qui permettent de surmonter toutes les autres difficultés qui pourrissent la vie des autres groupes lorsqu’ils ne connaissent ni la cohérence programmatique ni celle de la stratégie. Sans doute avons-nous compliqué notre propre travail en organisant des temps de rassemblements politiques dans la rue le 5 juillet puis le 12 contre les ordonnances sur le code du travail. Mais cela était absolument conforme à l’idée que nous nous faisons d’une action partagée entre l’intérieur et extérieur de l’Assemblée. Je dis cela pour ce qui est du groupe parlementaire. Car pour notre mouvement, l’enjeu essentiel, il ne faut jamais l’oublier, est dans la société, dans l’animation de ses mobilisations et dans le soutien à leur apporter.
Bien sûr je ne vais pas prétendre que nous avons trouvé la réponse à toutes les questions d’organisation qui se posaient à nous ni même aux questions de simple fonctionnement qui continuent à surgir à chaque instant. Nous nous définissons pas à pas, tâche après tâche, par la mise en commun de l’expérience et la formulation franche des besoins. Il me semble que ce qui vaut pour le groupe parlementaire, vaut pour la mobilisation ici-là des groupes d’appuis qui prennent en charge des caravanes comme l’été dernier. Cela vaut selon moi comme une leçon générale et de portée constante....

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