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vendredi 3 juin 2016

La dernières publication de la SOCIALE : L’empire du mensonge

La Sociale

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L’empire du mensonge

Par Denis Collin • Actualités • Jeudi 02/06/2016 •
Pour qui écoute avec attention radios et télévisions, lit les journaux « mainstream » ou prête attention aux déclarations des gouvernants, il y a quelque chose de très frappant : le recours systématique au mensonge. On sait depuis longtemps que l’exercice du pouvoir ne va pas sans recours au mensonge, mais aujourd’hui il s’agit de toute autre chose.

Hannah Arendt montre l’essence du mensonge totalitaire tel qu’il s’est développé au cours du XXe siècle. Le mensonge totalitaire repose sur la négation de certains faits et l’invention d’autres faits. On pouvait croire que « les faits sont têtus ». Arendt rapporte ceci :
Durant les années vingt, Clemenceau, peu avant sa mort, se trouvait engagé dans une conversation amicale avec un représentant de la république de Weimar au sujet des responsabilités quant au déclenchement de la Première Guerre Mondiale. On demanda à Clemenceau : « À votre avis, qu’est-ce que les historiens du futur penseront de ce problème embarrassant et controversé ? » Il répondit : « Ça, je n’en sais rien, mais ce dont je suis sûr, c’est qu’ils ne diront pas que la Belgique a envahi l’Allemagne. »
Il n’est pas certain que Clemenceau ait vraiment raison. Même les « données élémentaires et brutales de ce genre » ont été mises en cause par le système stalinien. Les livres d’histoire ont effacé purement et simplement Trotski de l’histoire soviétique, comme s’il n’avait pas été l’organisateur et le chef de l’Armée Rouge et aussi le vainqueur assurant la victoire du système soviétique sur les armées « blanches ». Les photographies officielles ont été truquées pour faire disparaître non seulement Trotski mais aussi bientôt tous les compagnons de Lénine au fur et à mesure qu’ils tombaient en disgrâce. Le Winston Smith de 1984 n’est donc pas une pure invention de George Orwell. Orwell (qui fut un temps proche des trotskistes, pendant la guerre d’Espagne) a trouvé son modèle tout prêt dans les trucages du système stalinien.
Évidemment, nous ne sommes pas dans le monde de l’Union Soviétique stalinienne, ce pays du « mensonge déconcertant » selon le mot d’Anton Ciliga. Mais il y a quelque chose qui y ressemble de près. La novlangue bureaucratique de l’Union Européen et des autres instances de la « gouvernance » internationale présente de nombreuses analogies avec la novlangue du monde de 1984. Ainsi le « plan de sauvetage » de la Grèce n’est rien d’autre qu’un plan pour couler les Grecs et rayer ce pays, comme nation indépendante, de la carte de l’Europe. En violant la volonté populaire qu’il avait pourtant sollicitée par la voie référendaire, Tsipras s’est fait le lieutenant zélé de cette infamie. L’exemple grec est tout à fait significatif. Il montre que le mot « démocratie » ne signifie plus « pouvoir du peuple » mais pouvoir de l’oligarchie imposant les lois du « marché libre », c’est-à-dire du marché entièrement soumis aux exigences du capital financier et des grandes institutions bancaires. Les gouvernements réactionnaires (y compris sociaux-démocrates) font de la « sécurité » un de leurs thèmes favoris, mais ils s’acharnent à organiser l’insécurité en détruisant toute trace de la sécurité de l’emploi et en s’attaquant à la sécurité sociale. Dans les discours de ces gens « sécurité » veut donc bien dire « insécurité ». La réforme du collège voulue par Mme Vallaud-Belkacem se présente comme une réforme qui n’a d’autre but que de mettre un terme aux discriminations et promouvoir la « réussite des élèves ». L’examen de cette réforme montre qu’il n’en est rien. Il s’agit de porter un nouveau coup à l’école de la république, de dégrader le contenu de l’instruction et de promouvoir indirectement un enseignement privé réservé aux plus riches. La baisse des exigences sur les disciplines fondamentales et l’invention d’enseignements gadgets expriment le mépris de classe de ces gens : le latin pour les enfants des banlieues, vous n’y pensez pas ! Ce serait donner de la confiture à des cochons. Voilà ce qu’il y a derrière la sollicitude feinte de ces gens.
La bataille engagée autour de la loi El Khomry a permis d’atteindre des sommets. Non seulement la prétendue « simplification » du Code du travail se traduit par un nouveau gonflement du Code du travail – le texte transmis au Sénat comporte 219 pages dont 130 pour le seul titre II – mais surtout nous avons une loi qui proclame qu’elle n’est pas la loi puisque l’article 2 est entièrement consacré aux moyens de contourner la loi. La suppression des garanties de la loi s’intitule « loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actif-ve-s ». Passons sur ce débile « actif-ve-s » imposé par un pseudo-féminisme et adopté contre toutes les règles de la grammaire par un gouvernement qui veut montrer, contrairement à l’adage selon lequel Caesar non superat grammaticos, qu’il est plus fort que César et décide même de la grammaire. Ce qu’on y appelle « nouveaux droits », ce sont les droits des entreprises d’imposer aux « actif-ve-s » des dérogations à la loi : augmentation de la journée de travail, augmentation des contraintes et baisse de la rémunération des heures supplémentaires. On sait bien ce qui est en cause : les entreprises pouvaient toujours négocier des accords plus favorables aux travailleurs que la loi ou les accords de branche. La nouvelle loi prévoit donc la suppression du « principe de faveur » et donc l’imposition d’accords d’entreprise moins favorables que la loi et les accords de branche. Ça n’empêche pas le gouvernement et son chien de Berger de la CFDT de parler de démocratie dans l’entreprise. Cette « démocratie » celle des patrons qui se trouvent ainsi les seuls détenteurs d’un pouvoir qui n’a plus aucune contrepartie – c’est la généralisation de l’accord « SMART », travailler plus pour gagner moins.
Mais ce mensonge organisé ne s’arrête pas au contenu du texte. Mme El Khomry, qui, comme Jeanne d’Arc, doit entendre des voix affirme qu’elle entend « la majorité silencieuse » qui est favorable à la loi, alors que grèves, manifestations et sondages d’opinion confirment que l’immense majorité des citoyens de ce pays rejettent la loi (un récent sondage ne trouve que 13 % de sondés favorables à cette loi) et que même la très modérée CFE-CGC demande le retrait de la loi. Les médias nous abreuvent de titres-chocs sur la CGT qui bloque le pays ; Gattaz traite la CGT de terroriste et Franz-Olivier Giesbert ose écrire dans Le Point que la France est menacée par deux dangers : Daech et la CGT. L’opération de propagande est parfaitement claire : le refus de la loi El Khomry, c’est uniquement les sectaires de la CGT – les moustaches de Martinez sont là pour faire peur et pour un peu les journaux qui ne survivent que sur fonds publics n’hésiteraient pas à lui mettre le couteau entre les dents. Et comme par hasard on ne parle plus des autres syndicats (SUD et FO). Le pompon a été atteint sur les transports. Après les déclarations de Vidalies selon lesquelles les transporteurs routiers ne seraient pas touchés par la baisse éventuelle des heures supplémentaires, tous les médias y sont allés de leur couplet (rédigé à Matignon) disant que FO Transports levait son mot d’ordre. Or, au même moment se tenait le congrès de la fédération FO des transports qui non seulement votait à l’unanimité la poursuite du mouvement et annonçait le blocage site par site de l’Euro 2016 ! Contrairement à ce que pensait Clemenceau, aujourd’hui, dans la « démocratie » qui est la nôtre, on pourrait dire que c’est la Belgique qui a envahi l’Allemagne en 1914 !
Le monde que construit l’empire politico-médiatique est donc un monde fictif. Le mensonge sur les faits commence à devenir la règle. Or ce mensonge sur les faits largement connus est typique des méthodes totalitaires. Hannah Arendt rappelait que :
Même dans l’Allemagne hitlérienne et la Russie stalinienne, il était plus dangereux de parler des camps de concentration et d’extermination, dont l’existence n’était pas un secret, que d’avoir et d’exprimer les vues « hérétiques » sur l’antisémitisme, le racisme et le communisme.
Nous ne sommes pas dans un système totalitaire au sens de Arendt. Mais certaines des méthodes le sont. C’est encore Hannah Arendt qui affirmait que les méthodes de la propagande totalitaire venaient de la « réclame », c’est-à-dire des publicitaires. La toute-puissance du « marketing » et de la « com » est mise au service non seulement de la vente de camelote marchande mais aussi au service de la camelote politique.
Comment tout cela a été rendu possible, comment ce mépris de la vérité a pu se propager, cela demanderait de longs développements dans lequel le « relativisme » pseudo-nietzschéen des tenants de la « French Theory » et des diverses formes du gauchisme culturel jouent un rôle très particulier. La brutalité des classes dominantes, en tout cas, s’accompagne d’une tentative de destruction des règles de base de la morale ordinaire et le développement tentaculaire de l’empire du mensonge ne doit pas être pris à la légère, comme un simple phénomène superficiel. Il s’agit au contraire de l’expression particulièrement violente de l’état du capitalisme aujourd’hui.

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