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lundi 29 février 2016

radio LONDRES : On a rencontré Jean-Luc Mélenchon



      On a rencontré Jean-Luc Mélenchon

On a rencontré Jean-Luc Mélenchon

Jeudi 25 février dernier, Jean-Luc Mélenchon donnait une conférence à l’université Lille 2 Droit et Santé. Plus tôt dans la soirée, il répondait à nos questions. Récit et interview.
« J’ai deux tonnes de papelards, évidemment je suis perdu dedans. Attendez, qu’est-ce qu’on a dit, là, vous m’avez parlé de… la constituante. Putain, si j’oublie ça je me fais tuer hein ». Jean-Luc Mélenchon exagère un peu. Personne ne va le tuer. Et devant lui, ce sont quelques notes sur quatre ou cinq pages blanches, tout au plus. À sa droite, les derniers quartiers de la clémentine qu’il lui reste à avaler. La petite salle au premier étage de la faculté de droit s’est improvisée loge d’un soir. Pour cause : ce jeudi 25 février, l’APEL (Association Parlementaire Etudiante de Lille) reçoit Jean-Luc Mélenchon à l’université Lille 2 Droit et Santé. Le député européen est là pour présenter la nouvelle édition de son livre « L’ère du peuple », parue au début du mois.
Trois longs couloirs et vingt marches d’escaliers plus loin, la tension monte. 650 étudiants ont pris d’assaut l’amphithéâtre dédié à la conférence. Des dizaines d’autres sont bloqués à l’entrée. Les plus fervents, majoritairement. Ceux qui, parfois depuis deux heures, attendaient devant les portes d’une autre salle, dans le bâtiment d’en face. Considérant la capacité d’accueil de l’amphithéâtre initial (300 places pour plus de 700 participants inscrits sur l’évènement Facebook, pourtant réservé aux seuls étudiants de l’université), la conférence a donc été déplacée de quelques dizaines de mètres, à la dernière minute. Résultat : une troupe d’étudiants tentant de forcer le passage pour entrer dans « l’amphi F » – celui de 650 places -, plein à craquer. Sécurité oblige, leurs tentatives seront refoulées jusqu’au bout.
« JLM » est pour l’instant bien loin de toutes ces préoccupations. Et il a beau faire mine d’être surpris par la ferveur étudiante, son discours est parfaitement rodé. « Des conférences comme ça, j’en fais depuis les années 1990 » confie-t-il. « Je me balade dans les facs, et je vois le changement : il y a quinze ans, c’était un mohican à la sortie qui venait dire qu’il était d’accord avec vous, aujourd’hui c’est totalement différent ». 
Quelques instants avant de monter sur l’estrade, Jean-Luc Mélenchon accorde vingt minutes à nos six yeux. Le temps pour nous de l’interroger sur sa nouvelle ambition écologiste, la VIème République et le sort de la Grèce, entre autres. Entretien.

Dans votre livre vous parlez beaucoup d’écologie, c’est quelque chose qui peut surprendre quand on connaît vos engagements antérieurs. Pourquoi avoir recentré votre discours sur cette question-là ? Vous définissez-vous comme écologiste ?
En fait, la place nouvelle qu’occupe ce qu’on appelle l’écologie dans mon système de pensée est le résultat d’un travail critique et d’examen d’analyse du corpus doctrinal qui me servait à réfléchir jusque-là. Déjà, première nouvelle : j’appartiens à une école où on considère que pour agir clairement, il faut commencer par penser clairement. Donc l’action politique est une action qui se déduit ou s’inscrit dans une pensée globale. Et notre pensée globale, celle qui était issue de l’histoire du mouvement ouvrier du XIXème et du XXème siècle est visiblement dans une impasse interne. Elle a montré des limites opérationnelles. Il y avait un schéma, une analyse du capitalisme qui a été dépassée par l’évolution du capitalisme et sa mutation en capital financier transnational. Et puis le modèle socialiste lui-même, de l’intérieur, rencontrait une limite : nous avons confondu pendant une génération développement des forces productives et bien-être : on proposait à tout le monde de consommer davantage, sans s’interroger sur le contenu de ces consommations, ni sur leur signification, ni sur ce qu’elle déclenchaient. Bref, la pensée était assez pauvre sur le sujet.
Alors on pourrait dire « Après tout, on s’en fout ». Sauf qu’on ne peut plus s’en foutre, vu que l’impact du productivisme sur l’écosystème tend à nous mettre dans une situation extrême, et une situation où toute la dynamique du système politique, social et économique entre dans une bifurcation. Si on continue comme ça, non seulement l’écosystème va être profondément affecté, mais il va même être détruit en tant qu’écosystème compatible avec la vie humaine.

« Je n’étais pas satisfait de la pensée écologiste telle que je la rencontrais »

S’il n’y a qu’un seul écosystème compatible avec la vie humaine, c’est donc que nous sommes tous semblables, donc la prémisse de l’esprit des Lumières est confirmée d’une manière matérialiste. Si nous sommes tous semblables, parce que nous avons des besoins semblables et des moyens de les satisfaire semblables, nous avons un intérêt général, un bien commun, cela nous permet de vérifier l’intuition fondamentale du communisme. Ensuite, on ne peut s’en sortir qu’ensemble, c’est-à-dire en faisant société, voilà qui est l’idée du socialisme. Et on ne peut s’en sortir en société qu’en pensant non pas ce qui est bon pour chacun d’entre nous mais ce qui est bon pour tous, et ça c’est le fondamental du républicanisme.
Donc il n’y a pas de contradiction aujourd’hui entre ma manière de poser les problèmes sous le prisme de l’écologie politique et les fondamentaux auxquels j’ai adhéré, auxquels je continue d’adhérer, et que je continue d’enseigner.

Si vous êtes élu demain président de la République, vous passez à la VIème République. Comment la mettriez-vous en place ?
Ah, la VIème République ! D’abord, sur l’idée d’une constituante, il faut que je m’explique. Dans ma manière de voir, il y a beaucoup de gens, c’est le nombre qui est le fait frappant de notre époque. Mais ce sont des multitudes, des gens qui ont des destins très séparés, des préoccupations très variées. Et cette multitude ne devient un peuple qu’à partir du moment où cet ensemble de gens va se retrouver pour manifester ou exiger sa souveraineté sur sa propre vie. La démarche au départ n’est pas idéologique, elle est très pratique : comment retrouver le pouvoir sur ce que je mange, sur ce que je vis, sur ce que je respire.
Ce passage de la multitude au peuple se produit à l’occasion de phases révolutionnaires ou de grandes secousses de la société, personne n’y peut rien, ça se passe comme ça. Mais ma recherche, c’est de trouver les moyens de procéder d’une manière plus rationnelle, plus méthodique, et c’est à ça que servent les assemblées constituantes : on part de l’idée que les gens, en participant à la formulation d’une constitution, refondent le peuple lui-même. Et c’est particulièrement vrai en France. Et donc il faut convoquer une constituante. Je dis constituante parce que je ne m’engage même pas sur l’idée d’une élection : bien sûr qu’il faudra élire, mais peut-être faudra-t-il aussi tirer au sort des gens. C’est en réunissant cette assemblée constituante que le peuple français va se refonder, et il en a besoin. Parce qu’il a complètement changé en 50 ans, c’est plus le même peuple, plus les mêmes hommes, plus les mêmes femmes, au sens anthropologique du terme. Entre la condition humaine de votre grand-mère et la vôtre, il y a des années-lumière, de même pour les hommes. Ensuite, le pays a été brassé par des vagues extrêmement importantes de migrations, qui ont produit des générations de nouveaux Français. Donc l’idée c’est ça : que le peuple se refonde.

Vous laissez les constituants agir ?
Par la force des choses, oui.

Vous vous n’avancez rien ?
Moi j’ai mon idée sur la question, bien sûr. Mais ma tâche n’est pas celle-là, ce n’est pas « Moi Mélenchon je veux que… ». C’est d’abord faire une assemblée constituante pour reformater politiquement notre peuple et notre nation. Et il faut le faire avec des conditions, d’abord de convocation, d’implication populaire. Là-dessus, j’ai des exemples, parce que j’ai quand même vu la constituante au Venezuela, en Equateur, j’ai vu comment ça se passait quand il y a une implication populaire de masse. Et puis je dois prendre un engagement, parce que nous sommes dans une situation politique absolument vermoulue où personne n’a plus confiance en rien du tout, ni en la politique, ni en les juges, rien. Donc cette confiance, elle se retrouve parce qu’on fixe les règles du jeu ensemble. 

« Convoquer le peuple pour qu’il définisse ses droits, c’est une stratégie révolutionnaire »

Ma seule participation à l’histoire de notre patrie, c’est d’être celui qui arrive et qui dit « L’assemblée constituante est convoquée, décidez une constitution, une fois que vous l’avez décidée elle s’applique, et moi je rentre chez moi ». Ma partie consistera à chasser tous ceux qui s’y trouvaient avant, pour installer tous ceux qui dorénavant doivent s’y trouver. Je pense qu’une assemblée constituante ne devrait comporter aucun membre des assemblées précédemment élues, ce ne devrait être que des gens élus pour la première fois, car j’ai une confiance absolue dans la sagesse populaire et dans le niveau d’éducation de notre peuple, qui fait qu’il n’a pas besoin qu’on le tienne par la main. C’est ça ma réponse. 
Et il faut bien comprendre une chose : certains croient que c’est un point du programme : non. Convoquer le peuple pour qu’il définisse ses droits, c’est une stratégie révolutionnaire. Au sens où l’entend quelqu’un comme moi, qui suis républicain, qui crois à la démocratie, au bulletin de vote, au suffrage universel et qui préfère le plus loin possible le moment où il faut avoir les bâtons comme arguments, parce que je n’y crois pas, et que je sais que tout régime qui nait de la violence finit dans la violence lui-même. 

Les victoires, éventuelles ou effectives, de Podemos en Espagne et de Syriza en Grèce vous inspirent. Quelle est votre position par rapport aux choix de Tsípras face aux prérogatives de l’Union Européenne ? En quoi pourriez-vous être différent de lui une fois au pouvoir ?
Parce que, en toute hypothèse, le rapport de force de la Grèce avec la puissance dominante de l’Europe qu’est l’Allemagne, et celui avec la France, n’est pas le même. Eux, ils font 2% de l’économie européenne, nous 18, nous sommes la deuxième économie, nous allons être la première population, nous sommes beaucoup plus jeunes que les Allemands, donc en quelque sorte, la dynamique du nombre va nous mettre dans les mains une situation qui se reproduit à intervalles réguliers : nous redevenons les plus nombreux. Et quand nous redevenons les plus nombreux c’est « rock’n’roll » pour tout le monde en Europe, c’est comme ça depuis 200 ans.
Dans cette affaire, il ne faudrait pas oublier qu’Hollande a été le « Good Cop » de Mme Merkel, il n’a rien fait d’autre que de maintenir l’ordre, au prix d’un martyr sans fin pour le peuple grec. 

« Alexis Tsípras a fait une lourde faute »

Mais, rapport de force ou pas, moi je n’aurais pas signé. Je pense qu’Alexis a commis une erreur, ce qui doit vous enseigner une chose : il n’y a pas de fatalisme dans l’histoire politique. Il faut une bonne doctrine, une bonne ligne d’action mais il faut surtout une bonne préparation personnelle, à l’exercice du pouvoir et des rapports de force. Tous ceux qui croient que la vie c’est la conférence permanente des bisounours autour du tapis vert, pour échanger des solutions rationnelles, sont dangereux, parce que la vie c’est des rapports de force. Et la politique consiste à faire que ces rapports de force se dénouent pacifiquement par la diplomatie, par les accords. Ceux qui nient l’existence des rapports de force et ne veulent pas les créer s’exposent à ce qu’ils leur reviennent dans la figure.

Vous considérez qu’Alexis Tsípras a fait une erreur ?
Je considère qu’Alexis a fait une lourde faute en s’enfermant pendant dix-huit heures avec dix-sept personnes qui le détestent. N’importe quel syndicaliste sait qu’on ne fait pas ça. Il aurait pû et il aurait dû aller au rapport de force, c’est-à-dire dire « Ecoutez, d’accord, la Grèce est en banqueroute et messieurs les Français, il ne vous reste plus qu’à mettre la main à la poche ». Le mécanisme de stabilité financière européenne obligeait les Français à payer 40 milliards et les Allemands 60 milliards. Je vous garantis que s’il était sorti, les deux autres auraient couru à quatre pattes pour le faire re-rentrer et signer n’importe quoi, plutôt que de perdre 100 milliards comme ça en l’espace d’une discussion.
Mais encore une fois, le fond de l’affaire, c’est la stratégie révolutionnaire, c’est-à-dire l’idée que nous ne présentons pas comme « la vraie gauche », ou « la gauche de la gauche », ou toutes ces sornettes, mais que nous essayons d’occuper une place centrale autour des concepts d’intérêt général humain et de peuple. C’est ça la formule Podemos. Donc les gens qui font des gargarismes en parlant d’une seule chose Podemos-Syriza en un seul mot parlent de choses qu’il ne connaissent pas, ces deux choses-là n’ont rien à voir. Et moi je suis à l’articulation de tout ça, puisque j’ai été de la première vague, et que j’ai participé directement à la seconde, puisque Pablo Iglesias et les autres sont des amis personnels et qui ont eu à connaître l’année dernière ce que j’ai à faire maintenant.

Ils vous soutiendront pour les présidentielles ?
Oui, ce n’est pas un problème ça. Mais ce n’est pas le sujet, le sujet c’est qui va gagner le premier. Celui qui gagne le premier fait la locomotive. On comptait tous sur Alexis et il a démarré en fanfare : cinq mois de négociations avec les autres, pour que tout le monde comprenne bien qu’il faisait du mieux qui pouvait. Il fait un référendum. Et il le gagne. On a fait la fête, on s’est dits « ça y est c’est parti », il va pas céder. Seulement, ce qu’aucun d’entre nous ne pouvait prévoir, c’est que ce n’est pas ça qui s’est passé. Donc nous avons été stoppés, ça nous coûte très cher. Donc pèse sur moi un doute : que je sois un bavard comme les autres. Tout le travail théorique que j’ai pu accomplir, ces milliers d’heures à échanger avec les uns et les autres, ont été réduites à néant par notre ami Tsipras. Donc moi, instantanément, j’ai créé la distance avec lui pour dire « Lui il fait ça mais je ne le ferai pas ». Et on a eu les plus rudes problèmes à l’intérieur du Front de Gauche sur ce sujet, parce que tout le monde n’était pas d’accord. Et le Parti communiste continue à soutenir Alexis Tsípras, ce qui est pas mon cas.

Comment comptez-vous faire pour rallier les 500 signatures d’élus sans accord avec le PCF ? Et comment comptez-vous mener campagne sans eux ?
Si je faisais la politique de mes moyens, je rentrerais chez moi pour pleurer : j’ai rien. Il faut faire la politique en fonction des lignes d’horizon qu’on se donne. Je ne peux pas vous dire à la fois « c’est le peuple qui fait l’histoire » et faire comme si je n’en pensais pas un mot. Donc je crois que c’est le peuple français qui va faire l’histoire dans cette circonstance aussi. Alors après, il ne faut pas mythifier le Parti communiste et ses signatures, et son argent, etc. Ce sont des histoires tout ça.

« Il ne faut pas mythifier le Parti communiste »

Le Parti communiste quand il est en mouvement, il aide à la manoeuvre, il est là, mais je n’ai pas l’intention de dépendre de l’approbation des uns ou des autres. Et la preuve de ce que je vous dis : on s’est ramassés trois élections perdues, à cause de ça, précisément : d’être un cartel de partis qui discutent pendant des heures, « premier tour », « second tour », « répartition des sièges » et tout ça. Donc ça va, au bout de trois fois, j’ai compris. Et là ça repartait, on ne m’a rien demandé puis tout ce petit monde a été se fourrer dans les primaires, qui est à mes yeux une tromperie gigantesque. J’aurais passé mon temps à me tirer la bourre avec je ne sais quel socialiste au lieu de faire le travail de masse qu’il faut accomplir sur la ligne que je me suis donné, qui est d’être hors cadre des partis.

Dans les facultés, vous sentez un changement ?
Oui, très clairement. Il y a quinze ans, il y avait un délire individualiste absolument gigantesque et une insensibilité quasi-totale à la société, ce qui n’est plus du tout le cas. Que les gens soient de droite ou de gauche, les esprits sont en ébulition, pour moi c’est très important.
C’est le 10-15% qui est de notre bord et sur des thèses dures – au sens de très exigeant intellectuellement, sur le plan écologique et démocratique. Même ceux qui ne sont pas de notre bord ne sont plus dans leurs délires libéraux d’avant. Pour moi, c’est très important comme contribution à la vie de notre pays, car quand vous allez dans une grande école ou dans une fac, vous avez des enfants de la classe moyenne ou de la classe moyenne supérieure. Et donc ce sera pour eux la seule fois où ils voient un orateur de gauche, où ils s’apercoivent qu’on n’est pas des animaux, et qu’on ne correspond pas à la caricature qu’on leur montre de nous, des bêtes sauvages furieuses. Je crois que des soirées comme ça sont plus importantes qu’un meeting.

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Laura Roudaut, Hugo Capelli et Pablo Maillé

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