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lundi 29 décembre 2014

HISTOIRE et MEMOIRE - Guerre de 14-18 : Hommage aux fusillés pour l’exemple

HISTOIRE et MEMOIRE 
                          
                                Guerre de 14-18

                                 

Guerre de 14-18 : Hommage aux fusillés pour l’exemple

mardi 12 novembre 2013
Discours de Vincent Présumey (FSU) lors du Rassemblement pour la réhabilitation des fusillés pour l’exemple, à Rocles dans l’Allier.
Chers amis, chers camarades, chers citoyens de l’Allier,
j’interviens au nom de la Fédération Syndicale Unitaire de l’Allier, une organisation syndicale du mouvement ouvrier essentiellement représentative de l’enseignement public, et je voudrais essayer de dire pourquoi c’est à la fois un devoir, une responsabilité et un honneur que d’intervenir ici à ce titre, au titre du syndicalisme, et plus particulièrement au titre du syndicalisme des éducateurs.
Quand la grande guerre a commencé, en août 1914, le mouvement socialiste international avait voté des résolutions pour l’empêcher, particulièrement à son congrès de Stuttgart en 1907, qui se terminait par cette phrase dont les auteurs étaient les russes Lénine et Martov, le bolchevik et le menchevik, et Rosa Luxembourg, femme, polonaise, juive, sociale-démocrate allemande et révolutionnaire internationale : Au cas ou la guerre éclaterait néanmoins, les partis socialistes ont le devoir de s’entremettre pour la faire cesser promptement et d’utiliser de toutes leurs forces la crise économique et politique créée par la guerre pour agiter les couches populaires les plus profondes et précipiter la chute de la domination capitaliste. La Confédération générale du travail, la vieille CGT, elle aussi l’avait affirmé : grève générale contre la guerre, grève militaire et désobéissance faisaient partie des moyens envisagés. Une chanson française écrite après la Commune le disait : S’ils s’obstinent, ces cannibales, à vouloir faire de nous des héros, ils sauront bientôt que nos balles sont pour nos propres généraux. Elle s’appelait l’Internationale.
Quand une série de provocations prenant prétexte de l’attentat de Sarajevo plonge à toute allure l’Europe dans la fièvre guerrière, c’est d’une certaine façon pour stopper un mouvement qui montait. En 1912, au congrès de Bâle, Jean Jaurès avait enflammé les esprits dans un grand discours prononcé dans la cathédrale luthérienne de la ville, et la première guerre des Balkans n’avait pas embrasé l’Europe, comme on le craignait déjà bien légitimement. En cet été 14, l’orage éclate par surprise et bien plus rapidement, fauchant la grève générale qui montait en Russie, en Pologne, en Irlande et en Italie. Pris de court, le mouvement socialiste et syndicaliste va se rallier à la guerre, à l’union sacrée dans chaque pays, s’alignant derrière ses gouvernants, derrière ses exploiteurs, pour appeler à massacrer les prolétaires et les exploités du pays d’en face. Mais Jaurès ne s’est pas rallié, il a été assassiné juste avant la guerre précisément parce qu’il était déterminé à tout faire pour l’empêcher. Les chefs se sont ralliés, et par milliers les militants, ceux du rang, ceux d’en bas, ont serré les dents. Sans doute n’était-il plus possible de faire grève contre la guerre, mais le ralliement à l’union sacrée allait faire de cette guerre un interminable massacre inaugurant la barbarie du XX° siècle en Europe. Le 4 août, aux obsèques de Jean Jaurès, Léon Jouhaux, dirigeant syndical, proclame la soumission : il parle de ceux « qui vont partir et dont je suis », avec forte hypocrisie, car il sait que lui ne partira pas au front, ayant eu un entretien avec le ministre de l’Intérieur le matin même : par les sursis d’appel il va tenir son organisation, pour la paix sociale à l’arrière, pour l’union sacrée, pour le massacre. Dans la foule présente, quelques hommes n’acceptent pas. Ils sont les résistants, ils méritent tout autant ce nom de résistants que bien d’autres, les premiers résistants du XX° siècle européen : les internationalistes. Quelques semaines plus tard, Pierre Monatte, natif de la Haute-Loire, démissionnera publiquement du comité confédéral national de la CGT pour faire entendre la voix de ceux qui refusent l’union sacrée. Et peu après, comme par hasard, il sera envoyé au front, en première ligne. Le 3 décembre, seul au parlement allemand, Karl Liebknecht vote contre les crédits de guerre. Et ce geste sera renouvelé en pleine bataille de Verdun, par notre député socialiste de l’Allier, Pierre Brizon, enterré à Franchesse. Oui, la résistance était possible, non, l’union sacrée n’était pas obligée.
L’union sacrée n’est jamais obligée !
Chers amis et camarades, ceci n’est pas de l’histoire passée, c’est notre histoire, c’est l’histoire qui continue dans les luttes d’aujourd’hui. Nous ne faisons pas que commémorer, nous combattons. L’honneur a été sauvé en 1914 par les internationalistes comme Pierre Monatte, Rosa Luxembourg et Karl Liebknecht, qui, parce qu’ils avaient un passé, ont permis que l’avenir soit à nouveau un avenir de combat, et d’abord de combat contre la grande boucherie, contre la guerre impérialiste pataugeant dans le sang, la boue et le mensonge permanents.
Le mouvement syndical repose toujours, dans ses profondeurs, sur les fondations posées par la vieille CGT, celle d’avant 1914. C’est sur ce socle, et sur l’avenir que porte un tel socle, que s’inscrit l’engagement de la FSU de l’Allier pour la réhabilitation de tous les fusillés pour l’exemple, en résonance à la prise de position commune des unions régionales d’Ile-de-France, ou des unions départementales du Cantal, de la CGT et de la CGT-FO pour cette même exigence démocratique fondamentale.
Le syndicalisme des éducateurs de l’école publique laïque doit s’estimer tout particulièrement concerné par cet enjeux. On lit souvent, dans les livres d’histoire, que l’une des motivations des soldats qui partirent au front en août 1914 était de reprendre l’Alsace-Moselle, ces provinces perdues voilées de noir sur toutes les cartes de France trônant dans chaque salle de classe de chaque école. En fait, cette injustice nationale faite aux alsaciens et aux lorrains n’était en rien la cause de la guerre et, comme toujours, l’indignation nationale n’était que l’instrument des rivalités capitalistes pour la domination planétaire, la maîtrise des matières premières et des mers, la rivalité anglo-allemande, les marchands de canons. Mais toutes les institutrices et tous les instituteurs n’étaient pas des chauvins. Du républicanisme ils étaient passés au socialisme et bien souvent au syndicalisme révolutionnaire. La Fédération des Institutrices et Instituteurs de France et des colonies, affiliée à la vieille CGT, fut, avec les Fédérations des Métaux et du Tonneau, le bastion de la résistance à l’union sacrée et paya pour cela le prix de la répression. L’esprit de la vieille fédération fut le sel de la terre du syndicalisme enseignant en France pour tout le XX° siècle et, permettez moi de dire que j’y compte bien, pour le XXI° siècle qui a commencé.
L’enseignement renie ce qu’il doit être par essence morale et intellectuelle, non seulement quand il enseigne la haine et la guerre, comme il l’a longtemps fait – c’était il n’y pas si longtemps encore qu’on racontait dans nos manuels que Verdun avait été une « victoire » comme l’ennemi allemand, en vérité une « victoire » de la barbarie contre le genre humain ! -, l’enseignement renie aussi ce qu’il est et doit être quand il prêche l’union sacrée et le conformisme, fut-ce au nom de la paix et du bien – c’est d’ailleurs presque toujours au nom de la paix et du bien que l’on fait du mal et des guerres.
Alors, chers amis, il faut en parler, la question de l’union sacrée qui a inauguré la barbarie du siècle passé se pose toujours, ici et maintenant, aujourd’hui. Le discours présidentiel d’avant-hier est censé, nous dit la presse, satisfaire l’exigence de justice et l’exigence de mémoire. Voyons cela d’un peu plus prés.
Les fusillés pour l’exemple de 14-18 seront intégrés, sous des formes qui restent à définir, au musée de l’armée des Invalides. C’est là ce qu’il est convenu d’appeler une satisfaction « mémorielle ». Le chef de l’Etat proclame que les fusillés pour l’exemple font partie de la mémoire nationale. Désolé, mais ils en faisaient déjà partie. Commémorer, célébrer, iconographier, afficher, diffuser, radiodiffuser, téléviser, numériser, et répéter à satiété les mots « mémoire » et « mémoriel », et il faut s’estimer content. Ceux qui entendent être à la hauteur morale et intellectuelle des résistants de 1914, des internationalistes, ne peuvent pourtant pas s’estimer contents. Vercingétorix et César font tous deux partie de notre histoire, à défaut de « mémoire », dans une relative neutralité, puisque nous sommes en partie issus du brassage opéré alors entre les conquérants esclavagistes et ceux qu’ils ont vaincus. On peut faire un musée des antiquités gauloises et romaines où figurent côte à côte le maitre et l’esclave. Mettre côte à côte les généraux Joffre, Foch, Nivelle, Pétain et Lyautey, et M. Poincaré la guerre, avec les fusillés pour l’exemple, et proclamer qu’ainsi on est quitte de tous comptes, ce n’est pas tout à fait la même chose. L’Etat républicain d’aujourd’hui a su reconnaître une responsabilité contestée pour les crimes antisémites commis par le régime pétainiste, qui avait pourtant renié les principes républicains. Mais il refuse de réhabiliter par un acte à la fois juridique, global et politique, politique parce que global, l’ensemble des fusillés pour l’exemple. Cela ne semblait pourtant pas si difficile. Un maître, tout du moins peut-on le supposer, de l’actuel chef de l’Etat, qui était quant à lui premier ministre en 1998, avait alors proposé de réintégrer ces victimes de la guerre et de l’union sacrée dans « leur honneur » selon ses termes. Cet honneur, disons clairement qu’en vérité ils ne l’avaient jamais perdu. Disons franchement que l’honneur des mutins de 1917 est de s’être mutinés et que leur combat, ce combat là, celui de la chanson de Craonne, était juste. Ce n’est pas de leur honneur à eux qu’il est aujourd’hui véritablement question, mais de celui de la République à travers l’Etat qui dit la représenter. Cet Etat s’est engagé dans le crime de masse en 1914, et dans ses colonies, il s’y était engagé avant et en a commis d’autres après. Réhabiliter collectivement l’ensemble des fusillés pour l’exemple de 1914, c’est défendre l’honneur de la République et de l’idée républicaine.
La satisfaction mémorielle ne saurait donc en aucun cas se substituer à l’exigence démocratique de l’acte collectif, juridique et politique que nous renouvelons donc à nouveau, maintenant et plus que jamais.
D’autant qu’il y a mémoire et mémoire. On nous dit que la mémoire de 14-18, celle qu’il faudrait transmettre aux jeunes générations, c’est la solidarité. Voilà qui est bien ambiguë. Etre enterré pendant 4 ans dans la boue avec mission de tirer sur les jeunes gens pareillement enterrés quelques centaines de mètres en face, fut-ce parfois de par un sentiment patriotique à l’origine sincère mais forcément interrogé à la longue par cette infernale et absurde situation, si donc c’est cela qu’il faut présenter aux jeunes comme le summum de la solidarité, alors le succès n’est pas garanti car les jeunes en général n’aiment pas l’hypocrisie. Mais il serait temps de mesurer l’ampleur de souvenirs tout autres. Permettez moi un souvenir personnel, non pas un souvenir personnel de la grande guerre bien sûr, mais de mon grand-père qui était à Verdun. Cet homme ne pleurait que lorsqu’il parlait de cela. Il était un patriote et ne se considérait pas comme un révolutionnaire. Mais son honneur, il l’avait et il le mettait en ceci qu’il n’avait jamais délibéremment tué d’allemand, et qu’à Verdun, ayant dans la brume croisé un soldat allemand, il a échangé un salut avec lui et puis s’en est allé. Combien sont-ils dont l’honneur est là, dans ce genre de choses, dans ces petits faits de la résistance de la vie contre la mort, de l’humanité contre la haine ? Je n’en sais rien, mais ne parions pas qu’ils ne sont pas les plus nombreux. Cette mémoire a été enfouie sous l’hymne officiel aux braves poilus râleurs mais disciplinés, au point que tous les six mois ou presque on découvre le dernier poilu pour chanter sa gloire, au risque de l’achever s’il a vraiment survécu jusque là ! Non, ce n’est pas une gloire, mais c’est une misère, qui certes ne déshonore pas, que d’avoir été poilu. Mais il est des mémoires individuelles et collectives pour qui l’honneur est ailleurs, et qui ne souhaitent pas voisiner dans une cohabitation commémorative ou une union sacrée mémorielle avec les criminels de guerre et criminels contre l’humanité Joffre, Foch, Nivelle, Pétain.
Alors, le grand jeu est engagé. Le centenaire de 1914 est un enjeu politique et pourrait devenir une affaire rentable. Tour de France au chemin des Dames, 14 juillet non pas internationaliste, mais international, patriotique mais non nationaliste, nous est-il annoncé. Cela sur ce socle politique : pas de réhabilitation globale, juridique et politique des fusillés pour l’exemple, donc implicitement pas d’excuses de la République pour s’être reniée en 1914 et dans chaque exécution pour l’exemple. Le discours présidentiel a en cela suivi les conseils de la commission animée par l’universitaire Antoine Prost, dont il n’est pas superflu de dire que, dans les milieux intéressés, il fait figure de véritable institution de la Cinquième République, à défaut d’être un monument républicain. Ainsi donc, la commission Prost avait suggéré un discours présidentiel, et surtout pas de mesure collective de nature judiciaire et politique. Et elle avait précisé pourquoi : c’est que, voyez-vous, elle a circonscrit le nombre officiel des fusillés à 740, occultant d’un côté les milliers de victimes possiblement liquidées sur le front, tout en ajoutant aux quelques 600 officiellement fusillés pour l’exemple en raison de leur résistance à la guerre ou de leur supposé défaitisme, un certain nombre de condamnés de droit commun. Et d’expliquer qu’on ne peut pas réhabiliter en bloc parce que, figurez-vous, il y a des espions et des délinquants dans le lot. Pardon, messieurs, mais si l’on va par là, alors les plus grands délinquants, les plus grands criminels, criminels contre la République, criminels de guerre, criminels contre l’humanité, sont les principaux généraux de cette guerre ! Conçue sur cette base, l’invitation des divers Etats aux cérémonies commémoratives, vraisemblablement conçues comme une messe à la gloire d’une Union Européenne en crise et d’une dite « communauté internationale » qui bombarde régulièrement au nom de la paix, ressemble plus à une séance d’absolution et de congratulation réciproques entre héritiers des auteurs de la boucherie, qu’à une véritable conjuration du ventre encore fécond d’où est sortie la guerre, ce capitalisme qui la porte comme la nuée l’orage (Jaurès).
Finalement, chers camarades et chers amis, nous nous retrouvons en ce 9 novembre 2013 devant un vieux problème, un vieux danger, une vieille ennemi : l’union sacrée.
L’union sacrée n’est jamais obligée !
Notez bien que nous sommes en réalité d’une infinie modération.
Après tout, l’honneur des résistants internationalistes combattant la guerre et l’union sacrée pourrait exiger que l’on commémore avant tout le juste combat de ceux qui se sont mutinés, de ceux qui ont fraternisé, de ceux qui ont voulu mettre fin à la guerre par la révolution sociale.
Et il n’est pas sans signification, à cet égard, que nous nous retrouvions un 9 novembre. Je sais bien qu’il s’agit de permettre aux élus présents de présider aux cérémonies du 11 novembre après-demain, et on peut penser qu’ils le feront dans un esprit hostile à tout bellicisme voire même à toute union sacrée. Mais il n’empêche que cela tombe bien, un 9 novembre. Car le 9 novembre 1918, à Berlin, des centaines de milliers de manifestants, dont beaucoup armés, formés en trois colonnes, l’une menée par le député social-démocrate indépendant Adolf Hoffman et dirigée sur l’Hotel de Ville, la seconde menée par le journaliste socialiste Emil Eichorn et dirigée sur la préfecture, la troisième menée par Karl Liebknecht récemment sorti de prison et dirigée sur le parlement et le palais impérial, s’emparent de leurs objectifs. La révolution, le soulèvement du peuple allemand ont mis fin à la guerre ce jour là. Il fallait dés lors signer l’armistice, ce qui fut fait le 11 novembre ; encore les soldats français furent-ils maintenus sous les drapeaux durant de long mois.
Un jour viendra où, au 11 novembre célébrant une prétendue victoire aussi bien qu’une sainte alliance des gouvernants rebaptisée Union européenne et amitié franco-allemande, succédera un 9 novembre célébrant le premier acte de la révolution socialiste européenne jamais terminée. Mais ce jour suppose sans doute une union universelle de Républiques sociales démocratiques, laïques et souveraines.
Comme nous n’en sommes pas encore là, nous faisons donc preuve, répétons-le, d’une infinie modération et d’une grande patience en demandant, en revendiquant, en exigeant, de la République française, la réhabilitation explicite, sans états-d’âmes, sans hypocrisie, la réhabilitation intégrale de tous les fusillés pour l’exemple de 14-18 !

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