RETRAITES - C'est parti pour plus d'une semaine de débat. Dix jours après son adoption ric-rac à l'Assemblée nationale, le projet de réforme des retraites est débattu à partir de lundi au Sénat. Comme à leurs habitudes, les sénateurs devraient offrir des débats moins crispés que leurs collègues du palais Bourbon. Pourtant, cela ne présage pas une partie de plaisir pour Marisol Touraine qui défendra le projet gouvernemental.
La ministre des Affaires sociales sait en effet que sa réforme aura beaucoup de mal à passer: "Ce texte ne sera vraisemblablement pas adopté en séance la semaine prochaine", expliquait récemment son cabinet. Et pour cause, la majorité est plus que bancale au palais du Luxembourg. Contrairement à l'Assemblée, le Parti socialiste ne dispose pas, au Sénat, de la majorité absolue. Il ne compte que 127 élus contre 132 à l'UMP, auxquels il faut ajouter la trentaine de membres du groupe centriste.
Pour faire passer ces textes, le gouvernement doit donc compter sur le soutien de toutes les composantes de la gauche: les radicaux (19 membres) ne sont généralement pas les plus difficiles à convaincre. Mais le PS doit également convaincre les douze sénateurs écologistes ainsi que la vingtaine d'élus communistes. Ce qui n'est pas une mince affaire sur les sujets économiques et sociaux: on a pu le voir lors de l'examen du crédit d'impôt compétitivité-emploi (CICE) qui avait été rejeté, il y a un an ou pourle texte sur l'énergie.
Marisol Touraine vient elle-même d'en faire l'expérience sur cette réforme des retraites. Elle a pu mesurer les difficultés qui l'attentent, quand la commission des Affaires sociales a rejeté son texte, mercredi 25 octobre. Un petit couac "prévisible" en raison de cette absence de majorité nette. Seulement quatre articles sur 52 ont été adoptés, conduisant les socialistes à voter contre la nouvelle version qui n'avait plus rien à voir avec celle de l'Assemblée. "Ils ont eu raison de voter contre un texte qui avait été vidé de sa substance en commission", a réagi le ministère des Affaires sociales.
L'allongement de la durée de cotisation ne passe pas
Mais qu'est-ce qui empêche les autres composantes de gauche de voter ce texte? Réponse, l'une des mesures phare du projet, l'allongement de la durée de cotisation à 43 annuités. "Cela va à l'encontre même des valeurs écologistes. Notre philosophie n'est pas que tout le monde travaille plus", explique Jean Desessard, le monsieur retraite du groupe EELV. Et l'élu parisien d'avancer aussi une autre raison: "Faire travailler les gens plus longtemps alors que les jeunes sont les principales victimes du chômage et qu'un senior sur deux qui part à la retraite n'a pas d'emploi révèle un réel manque de réalisme", explique-t-il au HuffPost. Avec les Communistes, il va également défendre la réécriture de l'article 4 qui prévoit le report, au mois d'octobre -et non plus au début de l'année- de la revalorisation des pensions.
Et ce ne sont pas les mesures de prise en compte de la pénibilité qui suffisent. "C'est de la petite gauche", s'étrangle un élu écolo. "Nous proposerons de taxer les revenus financiers et la spéculation", a affirmé Dominique Watrin qui sera l'orateur du groupe communiste. En cas de refus (hypothèse la plus probable), lui et ses collègues voteront contre, comme ses homologues députés. Quant aux Ecologistes, ils n'ont pas encore arrêté définitivement leur décision. "Ce qui est sûr, c'est que nous n'hésitons pas entre le vote pour et l'abstention. Nous hésitons entre l'opposition et l'abstention. Sur le principe nous devrions voter contre mais comme nous sommes au gouvernement, la position modérée devrait être de s'abstenir, comme à l'Assemblée", explique Jean Desessard.
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Reste l'hypothèse d'une alliance PS-UMP, comme on l'a déjà vu sur le traité budgétaire européen, il y a quelques mois. Mais cette réforme des retraites est jugée "beaucoup trop timide" pour que la droite s'y rallie. "Ce projet ne règle qu’un tiers des besoins en financement évalués à 20,7 milliards d’euros en 2020", dénonce le groupe UMP dans un communiqué. Alors que le parti défend le passage de l'âge légal de départ à la retraite à 65 ans, l'UMP s'insurge contre la hausse des cotisations. "Il y a un moment, où c'est trop facile de toujours augmenter les impôts", dénonce-t-on dans l'opposition.
Le dernier mot à l'Assemblée
On le voit, Marisol Touraine aura toute les peines du monde à convaincre les sénateurs. "Ce n'est même pas sûre qu'elle en ait envie. Elle n'a pas l'air spécialement ouverte à la discussion", confie un sénateur. La ministre a, pour sa part, déjà prévu l'hypothèse d'un rejet mais n'a pas l'air contrariée pour autant. "Le projet de loi reviendra donc en nouvelle lecture à l'Assemblée", se console-t-elle en sachant que les députés de sa majorité devraient lui donner raison en final. Ce fut exactement ainsi que le CICE fut adopté.
Mais en ces temps troublés pour la majorité, un tel affichage des dissensions de la gauche n'est pas du meilleur effet. Le gouvernement a d'ailleurs a pris soin de déminer le terrain depuis plusieurs jours. "Notre cohésion ne se mesure pas exclusivement sur ce texte de forme des retraites. Je note que la semaine dernière, lors du vote du budget, pas une voix n'a manqué au Premier ministre", relève un ministre. Même Jean-Marc Ayrault l'avait souligné, en réponse à Christian Jacob, patron des députés UMP.
Alors que ce dernier le pressait de réclamer un vote de confiance à l'Assemblée, le chef du gouvernement lui avait rétorqué qu'il l'obtiendrait lors du vote du projet de loi de finances. Ce qu'il avait donc largement obtenu.