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samedi 31 août 2013

Une page d'Histoire : '' I HAVE A DREAM" de MARTIN LUTHER KING

28 AOÛT 1963

"I HAVE A DREAM" DE MARTIN LUTHER KING




Une marche pour l'égalité raciale dans la dignité

LE MONDE |  • Mis à jour le  |Par 
Le 28 août 1963,  la grande marche des Noirs réunit 250 000 personnes dans le calme à Washington. A l'époque, "Le Monde" s'attarde davantage sur l'indifférence de la majorité des Américains que sur le discours de Martin Luther King.

                             Sur le "Mall", à Washington, le 28 août 1963.

Washington, 29 août. Des parkings déserts, des rues vides, quelques rares voitures : en gagnant mercredi matin les lieux de la grande manifestation pour l'égalité raciale, on avait par moments l'impression de traverser une cité non pas endormie mais évacuée. Même le dimanche, Washington présente plus d'animation. Mercredi, la "marche" l'avait fait comme rentrer sous terre. Et pourtant l'on cherchait en vain dans les annales mondiales de la protestation populaire une démonstration de masse plus pacifique, plus sereine, plus respectueuse des consignes d'ordre et de calme données par ses chefs.
Les forces de police mobilisées pour cette occasion ne furent pour rien dans cette attitude. Si nombreux, au total, qu'aient été leurs effectifs, les petits détachements d'agents municipaux et de police militaire échelonnés sur le pourtour du périmètre assigné à l'événement auraient été bien incapables de résister à la moindre poussée d'éléments en effervescence. Il aurait fallu appeler les renforts de troupe massés discrètement aux abords de la ville. Autant de précautions, nécessaires peut-être, qui se révélèrent superflues.
UNE ÉTONNANTE AUTODISCIPLINE
L'atmosphère n'était pas à l'agitation, mais au recueillement, voire à l'oraison : nul cri vengeur, nulle exaltation, aucun geste irréfléchi. Peut-être parce que, malgré l'unisson et la détermination qui rassemblèrent les deux cent mille participants à l'appel des leaders intégrationnistes, il faut d'autres circonstances et d'autres hommes, pour que la "psychologie des masses" trouve à s'exercer. En se mêlant à la foule, il était évident qu'il n'y avait pas "foule" au sens grégaire du terme, mais affluence concordante et chaleureuse d'une multitude de petits groupes humains, sociaux ou confessionnels, la plupart, sinon tous, venus ensemble et ne se perdant pas trop de vue. Il était non moins clair qu'il s'agissait pour la plus grande part de citoyens américains relativement "arrivés" : la majorité, malgré la chaleur et le voyage, avaient sorti la garde-robe des grands jours et beaucoup avaient apporté non seulement un appareil photo mais une caméra de 8 millimètres.

                                                  Pendant le discours de Martin Luther King, le 28 août 1963.

En un mot, les "marcheurs" représentaient dans leur grande majorité l'élite noire : nous y avons rencontré quelques chômeurs, mais en proportion infime.
Le mystère de son comportement raisonnable n'est donc pas si grand : les participants à la marche venaient chercher par la respectabilité de leur campagne le respect qui leur est dû. Néanmoins, l'élimination de tout impondérable explosif avait, à la limite, quelque chose de fantastique : ce n'est pas tous les jours qu'on peut voir une agglomération de dizaines de milliers d'individus se disperser après un meeting "historique" en une vingtaine de minutes et retrouver sans cohue, sans incident, le plus tranquillement du monde, les autocars qui leur sont assignés pour rentrer dans leurs foyers.
A ce titre-là, la manifestation est un succès grandiose pour ses organisateurs, non seulement sur le plan de l'organisation elle-même, où tout fonctionna à merveille, mais sur celui de l'esprit et de l'orientation qu'ils ont réussi à imprimer à leur mouvement. C'est là la leçon qu'en tirera l'opinion américaine qui, après ce déploiement de maturité collective et de discipline intérieure, peut plus difficilement que jamais contester à la communauté noire la place qui lui revient.
Mais ce serait méconnaître les ressorts de l'évolution américaine que d'attendre des hommages qui vont être rendus à la "sagesse" des disciples de M. Philip Randolph et du pasteur Martin Luther King une satisfaction accélérée de leurs légitimes aspirations. Cent cinquante "congressmen", assis au premier rang des invités d'honneur, au pied des marches du Lincoln Memorial, seront impuissants à faire avancer d'un seul jour le vote du programme Kennedy dans leurs Assemblées respectives : il leur manque non la conviction mais l'élan.
LE CONGRÈS RESTE PRISONNIER DE SON ESPRIT " PROCÉDURIER "
Les partisans des " civil rights " (sauf au Sénat, où l'obstruction du " filibuster " leur donne un certain poids, leurs adversaires sont presque quantité négligeable) s'enlisent dans le perfectionnisme formaliste, et s'apprêtent placidement à consacrer des semaines encore à travailler et à torturer un texte qu'ils veulent " infaillible ", inattaquable en justice - comme si les magistrats détenaient la clef de la situation.
Le gouvernement partage largement cette optique procédurière, qui dégrade chaque mois davantage le dynamisme des promesses contenues dans le vibrant message envoyé au Congrès par le président pour accompagner la législation qu'il lui soumet.
WASHINGTON N'ÉTAIT PAS AU RENDEZ-VOUS
Un autre phénomène frappe l'observateur au soir de la grande démonstration d'unanimité et de dignité morale dont il a été le témoin. Il sait qu'elle n'aura pas d'influence directe sur le Congrès. Mais en aura-t-elle davantage sur la mentalité du pays, dont, en définitive, dépendent les réactions du Congrès ? La démonstration du 28 août, par son caractère profondément religieux, interracial, interconfessionnel, n'avait rien d'exclusivement "noir" : un bon dixième des militants intégrationnistes rassemblés au Lincoln Memorial avaient la peau blanche. Par delà l'intégration, c'est à des "États-Unis plus unis" qu'en appelèrent leurs dirigeants. Leur appel fut répercuté par la plupart des autorités religieuses de Washington, qui s' "engagèrent" très sincèrement aux côtés de leurs frères de couleur. Or que s'est-il passé au niveau de leurs fidèles, à de rarissimes exceptions près ? Washington a fait le vide devant la manifestation. Il n'y a certainement pas un millier de ses habitants qui aient été même effleurés par l'idée de rejoindre ses rangs, spontanément, sans autre objectif que de "manifester" sa foi de chrétien ou son idéal égalitaire de citoyen américain.

                                  Sur le Mall, le 28 août 1963.

Le problème noir est trop spécifiquement américain pour qu'on puisse faire plus que suggérer une comparaison, mais on imagine mal une autre métropole réagissant par l'abstention pure et simple, par une sorte de "mise entre parenthèses" quasi hygiénique, à une manifestation concernant l'avenir de toute une catégorie nationale. Les Noirs sont descendus sur un Washington qui n'était pas au rendez-vous. Cette indifférence colossale - pour ne pas parler des Washingtoniens qui crurent bon d'aller se réfugier à la campagne - mieux que tous les préjugés sudistes, qui finiront bien un jour par disparaître, donne la juste mesure des progrès à accomplir pour que le "rêve" de fraternité lyrique évoqué par le pasteur King en conclusion du meeting commence à prendre substance.

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