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vendredi 29 mars 2013

Notre ennemi, c'est l'évasion fiscale

                                                             Marianne

CONTROVERSE

Notre ennemi, c'est l'évasion fiscale

Jeudi 28 Mars 2013 à 16:00 |

YANN GALUT - DÉPUTÉ SOCIALISTE DU CHER


La lutte contre l'évasion fiscale doit devenir la priorité des priorités, non seulement pour parvenir à redresser les comptes publics, mais aussi pour réconcilier les Français avec l'impôt et la construction européenne.


Union Bank of Switzerland, Londres - SUPERSTOCK/SUPERSTOCK/SIPA
Union Bank of Switzerland, Londres - SUPERSTOCK/SUPERSTOCK/SIPA
L'affaire Depardieu a remis de manière passionnelle l'exil fiscal sur le devant de la scène médiatique et politique. L'attitude de l'acteur est devenue pour la gauche le symbole de l'égoïsme, alors que la droite a érigé celui-ci en «victime du matraquage fiscal pratiqué par le gouvernement». Cette polémique a au moins eu le mérite de replacer au centre du débat la relation de nos concitoyens à l'impôt. Les tenants du dogme libéral tentent de le délégitimer sans cesse. Il représente à leurs yeux une vision collectiviste, et ils lui préfèrent l'investissement individuel. Pourtant, le niveau de prélèvements obligatoires d'un pays est souvent en relation directe avec le niveau de solidarité d'une société, et la gauche doit le rappeler inlassablement. Ce qui ne doit pas empêcher de travailler à la recherche du bon équilibre entre liberté et solidarité. 

Depuis que je travaille à l'Assemblée nationale sur la question de l'exil fiscal, j'ai pris conscience que la véritable problématique n'est pas tant «l'exil» fiscal que «l'évasion» fiscale, que celle-ci émane d'une entreprise ou d'un particulier. L'enjeu financier est considérable : elle représente aujourd'hui entre 40 et 80 milliards d'euros par an. Les avoirs de Français dans les paradis fiscaux s'élèvent à un minimum de 200 milliards d'euros. Si on les taxait à hauteur de 30 %, on récupérerait 60 milliards d'euros, soit les deux tiers du déficit budgétaire de l'Etat en 2012 ! Ces chiffres donnent le tournis au moment où le gouvernement indique qu'il nous faudra réaliser une nouvelle économie de 5 milliards d'euros dans les dépenses publiques pour le budget 2014. La lutte contre l'évasion fiscale est donc d'abord une nécessité absolue pour parvenir à redresser les comptes publics. 

Mais elle est aussi une priorité politique et morale. Les Français comprennent la situation difficile dans laquelle nous sommes et sont prêts à des efforts, à condition que ceux-ci s'accompagnent de justice. Sans politique fiscale juste, pas de réformes acceptées et pas de progrès possible. Il faut soulager les efforts de l'immense majorité des particuliers et des entrepreneurs qui payent leurs impôts honnêtement. 

Nicolas Sarkozy, fidèle à sa ligne Buisson, passait son temps à montrer du doigt les «petits»tricheurs, qui frauderaient aux allocations familiales ou au RMI, ne parvenant qu'à attiser la jalousie sociale dans l'espoir d'un maigre bénéfice électoral. Quelle erreur et quel scandale... C'est contre les gros tricheurs qu'il faut concentrer les moyens de l'Etat ! C'est comme cela que nous redonnerons confiance aux Français dans l'action collective et dans la politique, et que nous commencerons à les réconcilier avec l'impôt, un des fondements de la République et de la cohésion sociale. 

Il y a une troisième raison pour lutter efficacement contre l'évasion fiscale : le phénomène est mondial. En Europe, l'évasion fiscale est estimée à 200 milliards d'euros par an. Les pays en voie de développement sont touchés à hauteur de 800 milliards d'euros, soit 10 fois le montant de l'aide au développement consentie par les pays riches ! Six mille milliards d'euros seraient détenus au niveau mondial dans des «paradis» fiscaux, 8 % de la richesse mondiale échappe ainsi chaque année au fisc des différents pays. Et les plus grosses entreprises américaines - Google, Apple, Facebook, Amazon - rapatrient - ou plutôt «expatrient» - le plus clair de leur chiffre d'affaires de cette manière. Il faut saluer à ce titre les 60 millions d'euros pour la première fois arrachés par le président de la République à Google pour aider la presse française et donc l'expression démocratique libre. 

Dans ce contexte, nous devons regarder la vérité en face. Il est urgent de s'attaquer à la plaque tournante de l'évasion fiscale : le système bancaire suisse. Les Etats-Unis sont en passe, après l'affaire UBS qui touche aussi la France, d'imposer aux Helvètes une levée partielle du secret bancaire. Nous devons aussi mener ce combat. 

La Suisse n'est cependant pas le seul paradis fiscal en Europe : le premier est peut-être le marché des euro-dollars de la City de Londres. Là aussi, il faut avoir le courage d'en parler sérieusement aux Britanniques, même si cette négociation sera assurément longue et difficile. Mais c'est à ce prix que l'on convaincra les Français que l'Europe reste un formidable et irremplaçable moyen d'agir contre la violence du capitalisme international. Et que l'on commencera, enfin, à les réconcilier avec la construction européenne. 

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